3 Je deteste les voitures

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Je déteste les voitures. Je cours après, je leur aboie dessus, j'essaye de les mordre, je cours autour, bref elles me mettent en rage. L'origine de cette haine profonde est lié à mes débuts de gardien des trois maisons de vacances de la patronne. Lorsque j'ai grandi et qu'elle a considéré que mon éducation était faite, elle m'a laissé là sans explication ou presque. J'ai enfin compris l'histoire des clefs. Ces maisons de vacances sont construites sur une colline à quelques kilomètres du village. Mais la patronne se donne rarement la peine d'accompagner les clients et se contente de leur indiquer le chemin, à charge pour eux de lire les consignes qu'elle a laissées, en arrivant dans la maison.
Je me retrouvais donc seul avec des inconnus, voire en charge du gardiennage de maisons vides parceque nous étions en début de saison. Alors je retournais au village, à patte, pour aller gratter à la porte du magasin ou je voulais retrouver mon vieux chiffon. Cela faisait une trotte entre les maisons et le village et je prenais par la route qui est le plus court chemin et le plus aisé. C'était sans compter sans ces maudites voitures, ces tas de ferraille rugissants qui circulent à grande vitesse sur les routes étroites. Que le conducteur soit ivre, pressé ou distrait, en train de jouer avec son téléphone, ces engins aux mains des hommes sont des dangers permanents. Plusieurs fois je me suis fait frôler le derrière car le conducteur ne m'avait pas vu, marchant à la lisière de l'herbe pourtant rare sur ces terres arides.
Et après avoir couru tous ces dangers, lorsque j'arrivais au magasin, j'étais mal reçu.
- Ah te voilà toi? Tu as fait tout ce chemin? Tu es moins crétin qu'il paraît pour avoir retrouvé le magasin.
Alors je regardais la patronne avec fierté, ayant parfaitement saisi le compliment en dépit du ton peu amène.
- Mais je ne veux plus te voir ici! Donc tu vas retourner d'où tu viens. Pas tout de suite bien entendu, j'ai autre chose à faire. Viens donc par là!
Elle ouvrait la porte donnant accès à une courette crasseuse à l'arrière du magasin, m'y poussait avec un coup de pied au derrière et refermait la porte. Je ne comprenais rien. Lorsqu'elle ouvrait la porte c'était pour me fourrer dans sa voiture et me ramener à mon emploi de gardiennage.
Têtu, je fis plusieurs fois le chemin du retour sur la route, manquant plus d'une fois de me faire renverser par un conducteur ivre ou distrait.
Ainsi je déteste les voitures, sauf lorsque je monte dedans pour une promenade. Il est en effet arrivé plusieurs fois que des clients de la patronne deviennent des amis pour quelques jours et me proposent de les accompagner pour la journée. Dans cette circonstance ça change tout: de prédateur stupide, la voiture se change en moyen de transport rapide, confortable et valorisant. Le plus merveilleux est de disposer de la banquette arrière pour moi tout seul. Ainsi je peux me hisser à la fenêtre droite ou gauche pour regarder le paysage, ou passer ma tête entre les sièges avant pour regarder la route. Lorsque l'envie m'en prend je me couche sur la banquette et je fais une petite sieste. Il arrive aussi que le conducteur et son passager discutent avec moi pour passer le temps.
- Ça va le chien?
Alors je réponds en frétillant de la queue, en faisant de petits bruits, en passant ma tête entre les deux sièges pour faire voir que je suis là et que je participe.
Quand je dis que j'aime avoir la banquette arrière pour moi tout seul c'est que j'aime être le roi, moi qui suit si mal né. Mais je m'accommode fort bien d'un enfant à côté de moi. Il me caresse, je le regarde. S'il s'endort, je fais un petit somme avec lui.

JackOù les histoires vivent. Découvrez maintenant