C'est après avoir rencontré Robert, et en faisant le lien avec la musique que je me suis intéressé à la littérature. J'ai eu la chance de rencontrer Jane, une vieille anglaise mariée à un suédois. La pauvre Jane était handicapée par un genou qui ne fonctionnait plus et qu'elle devait faire opérer à son retour à Stockholm. Elle était venue avec son mari et ses deux petits enfants Ingrid et Roland. Comme elle pouvait à peine plier le genou elle restait à la maison pendant que le grand père emmenait la marmaille à la plage. Et elle passait l'après-midi à lire en les attendant. Elle lisait Les vagues de Virginia Wolf qui est une littérature ardue. Surtout après les déjeuner elle devait lutter pour ne pas s'endormir. Mais, pour cette femme qui était restée active jusqu'à un âge avancé il n'était pas question de se laisser aller et de faire la sieste avec la bouche ouverte, comme font les vieux. Aussi elle commença à lire quelques phrases à haute voix, d'abord pour elle-même puis pour nous deux lorsqu'elle vit que cela m'intéressait. Je m'installais en face d'elle, je la regardais en penchant un peu la tête de côté et je soulevais une oreille quand elle se mettait à parler. Ca la faisait rire.
- je ne savais pas que les chiens aiment la lecture comme les enfants. Il n'y a pas si longtemps que je lisais des histoires à Ingrid et Roland. Comme pour tous les enfants il fallait lire encore et encore. Pour les chiens aussi?
Je répondais oui. La réponse était une évidence. Les petits enfants ne savent pas lire et les chiens non plus. Ils attendent que quelqu'un leur fasse le plaisir de lire pour eux, encore et encore. La différence est que les petits enfants comprennent. Comprennent-ils? Sans doute pas la même choses que les adultes. Alors que les chiens s'intéressent d'abord à la musique de la phrase, et avec un peu de chance reconnaissent un ou deux mots. Pour Jack la difficulté était accentuée par la diversité des langues utilisées par les clients. Même pour les mots les plus courants il fallait en reconnaître trois ou quatre versions. Quant à reconnaître les mots sophistiqués qu'utilisent les écrivains il ne fallait pas y compter.
Jane faisait des efforts pour lire distinctement et ne pas me perdre en cours de route.
Elle lisait par exemple:
"Un air de noblesse romaine flotte sur ces austères cours quadrilatères."
Je crois que c'était inexplicable et incompréhensible pour un chien mais j'aimais beaucoup cette phrase.
Jane aussi, c'était le plus important.
Elle lisait encore:
"Peut-être était-ce une coquille d'escargot, s'élevant dans l'herbe comme une cathédrale grise, un bâtiment bombé brûlé d'anneaux sombres et que l'herbe ombrait de verre."
Cette fois j'ai reconnu le mot "escargot" et j'ai été surpris qu'un aussi grand auteur parle de chose que je pouvais reconnaître et qui faisaient partie de mon monde familier. J'ai remué la queue et j'ai émis un petit couinement qui a fait comprendre à Jane que j'étais très content.
Alors elle a relu la phrase. C'était très gentil de sa part.
- tu as raison, c'est une très belle métaphore.
Là elle m'avait perdu, elle l'a bien vu à la tête que je faisais.
- je sais ce doit être difficile pour toi de comprendre ce mot abstrait, disons que c'est une image poétique. Ce livre est à mi chemin entre un roman et un recueil de poésie, et en vérité plus proche de la poésie pure. C'est très beau. Un peu difficile à suivre mais très beau.
Elle continua la lecture un bon moment.
Soudain elle s'arrêta.
- Percival est mort! Elle dit ça avec beaucoup d'émotion.
Je tremblais de tous mes membres car ne voyais bien que nous étions arrivés à un moment grave du roman. Quelqu'un était mort, une fois encore j'avais reconnu le mot.
- ah les préfaces sont toujours trompeuses, elles vous essorent le roman et vous le rendent sec et rêche. Dans cette édition on vous explique qu'il ne se passe rien, qu'il n'y a ni personnage ni récit et que tout n'est q'impressions qui s'enchaînent les unes aux autres sans logique, comme celles qui parcourent un esprit sénile dont tous les souvenirs sont convoqués dans le couloir en même temps et s'entrechoquent pour former un brouhaha inaudible et désespérant. Mais non ce n'est pas cela et l'effet de la mort de Percival est saisissant! La mort surgit et nous surprend. Percival parti aux Indes meurt là bas et cette mort lointaine est d'autant plus insupportable et difficile à vivre.
A ce moment j'ai bien vu que Jane était au bord des larmes, que son émotion artistique était renforcée par ses pensées intérieures. Je me demandais si cette lecture était bien appropriée pour cette femme qui tout à coup avait dû penser à sa propre situation.
Pour la première fois sans doute à l'orée du grand âge elle se trouvait immobilisée et les siens l'avaient laissée seule dans cette maison pour aller à la plage. Les voisins aussi étaient partis et il n'y avait que moi à qui causer.
Tout d'un coup cette situation avait dû lui faire de la peine.
Je compatissais.
- Percival est mort, un accident de cheval, il était sur une jument grise...vas savoir ce qui s'est passé. Il est mort dans un hôpital indien par une chaleur étouffante,...tiens un peu comme ici.
Tout d'un coup elle se rend compte qu'elle a soif et elle se lève péniblement à cause de son genou. Elle va se chercher un grand verre d'eau pétillante.
- Mais toi aussi je suis sûre que tu as soif!
Elle revient avec un bol plein d'eau. Elle le pose sur le muret, c'est plus facile pour elle.
Pas de souci je saute sur le muret et je vais me rincer le gosier.
- Ben tu vois tu avais soif!
Je me lèche les babines puis je saute du muret et je m'installe à l'endroit où j'étais pour écouter la suite de la lecture.
Je sens que ce verre d'eau lui a fait du bien, l'a ramenée aux choses naturelles et simples, à la vie de l'instant.
Elle reprend la lecture. L'après-midi s'allonge en toutes petites vagues, elles se succèdent en apparence toujours les mêmes et en réalité toujours différentes. C'est ce que nous raconte ce livre, enfin presque puisque Percival est mort d'un coup, en se fracassant la tête, en tombant de sa jument grise.
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Jack
Ficción GeneralJack est un petit chien trouvé dans une poubelle, à la sortie d'un petit village de Crète. Sa maîtresse va bientôt l'abandonner en lui confiant le "gardiennage" de trois maisons de vacances sur une colline, face à la mer. Il va voir défiler sur son...