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J'ai toujours trouvé ma vie ennuyante. Frustrante.
Parce que je n'ai pas le droit de me battre. C'est réserver aux hommes d'après ma mère. Moi, je trouves ça ridicule. Je suis sûre que si l'on me laissait faire, je serais bien plus utile au royaume que certains hommes. C'est une vraie torture de devoir obéir, de rester passive, sans but.
Mais depuis quelques jours, ma peine me semble moins lourde à porter.
Je trouve étrange d'en révéler la raison presque banale.
Il s'agit d'un homme.
D'un archer plus précisément.
La plupart des filles de mon village sont en admiration devant les épéistes. Grands, forts, violents et très, très vaniteux.
Moi j'admire l'archer, et pas n'importe lequel. Pas ceux qui s'entraînent près des épéistes en espérant se faire remarquer des dames.
Non, j'admire celui pour qui son arc est le seul confident digne de confiance.
Celui qui s'entraîne à l'écart, en solitaire.
Parce qu'il vit ce que j'aimerais vivre, qu'il manie l'arc comme j'aimerais le manier, qu'il est d'une agilité et d'une grâce que je ne pourrais jamais acquérir même si je le voulais.
Cela ne fait qu'une semaine que je l'ai découvert. Dans les bois.
Je m'imaginais partir à l'aventure, être une héroïne à la recherche du dragon qui ravagerait des villages entiers, qui terroriserait le peuple.
Je ne vis aucun dragon ce jour là.
Mais peu m'importait, j'avais trouvé beaucoup mieux.
Sa vue m'avait tellement impressionnée que j'étais revenue chaque jour et, assise sur un rocher, je l'observais effectuer sa danse.
Oui, c'était bien plus qu'un entraînement, bien plus poétique, bien plus fin.
En général, il danse torse nu et ses cheveux d'un blond brillant sont attachés en un chignon bas.
Je sais qu'il m'a déjà vu, plusieurs fois.
Mais jamais il ne m'a parlé.
Je me rappelle bien d'une fois où il m'a sourit en me voyant arriver en courant, à bout de souffle, parce que j'étais en retard. Ce jour là j'avais eu terriblement peur de ne pas le trouver.
C'est le seul échange que nous ayons jamais eu.
Aujourd'hui, je voudrais qu'il y ai plus.
Une parole peut-être. Un nom.
Quelque chose qui me permettrait d'entendre sa voix. D'en apprendre plus sur lui.
Alors aujourd'hui, j'arrive avec un grand sourire, joyeuse comme je ne l'ai jamais été.
Peut-être un jour acceptera-t-il de m'apprendre à tirer.
Je suis là en avance, cette fois. Et je ne m'assieds pas sur mon rocher, je préfère l'attendre debout, plus près de là où il est habituellement.
Il arrive quelques minutes après moi.
Hésitante, je reste cachée un moment derrière un arbre. Au moment où je décide de prendre mon courage à deux main et de me révéler à sa vue, l'image se met comme en pause. Il est face à moi, à une cinquantaine de mètres. Je vois son torse nu refléter l'éclat du soleil. Sa peau semble faite d'or. Pour une fois, je peux voir ses beaux yeux bleus, qui me voient à leur tour.
Je souris. C'est tellement beau.
Je ne comprends pas encore.
Mais sa corde est déjà tendue.
Sa flèche ne peut pas être retenue.
Je souris toujours.
Et ne comprends toujours pas.
Pourquoi ne sourit-il pas, lui aussi ?
Pourquoi est-ce que son visage se tord-t-il d'horreur ?
Pourquoi est ce qu'il semble crier ?
Tout est tellement parfait, c'est absurde.
Puis la flèche atteint sa cible.
Maintenant, je comprends.
Le choc est si violent que je tombe à la renverse.
La douleur efface mon sourire. L'archer court jusqu'à moi.
Je sais que ce sera trop tard.
Je ne le reverrai pas. Mes yeux se ferment déjà.

- NON !!

Une voix déchirante me parvient.
Mon sourire revient.
J'ai entendu sa voix.
Et quelle voix!

Restless thoughtsOù les histoires vivent. Découvrez maintenant