Chapitre XXII.

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     Le soleil s'apprêtait à se coucher sur la montagne. Si j'y prêtais attention c'était uniquement car Kalia tenait à le voir depuis trois semaines. En fait, moi je contemplais une autre beauté. Le visage de la femme endormie dans le rocking-chair blanc, éclairé par cette lumière orangée. Depuis quelques jours, elle s'endormait avant ce spectacle et moi, je la réveillais pour ne pas qu'elle le rate. Je repositionnai le plaide à carreaux sur ses genoux et repris ma contemplation. Son état se dégradait au fil des jours. Elle perdait l'appétit, les couleurs fuyaient son visage, ses muscles comme ses os la torturaient et son épuisement était constant. Cependant, je ne l'entendais jamais se plaindre. Même quand la douleur semblait atteindre son apogée, elle prenait discrètement quelques cachets. Malgré la maladie, je la trouvais incroyablement belle. Et sa force, je l'admirais réellement. En effet, face à la mort qui approchait à grands pas, elle ne semblait pas avoir peur. Elle n'en parlait jamais. Parfois je l'entendais même fredonner. Elle tenait à vivre normalement. Enfin... Selon ce que la maladie lui permettait. Et c'était de moins en moins de répit. 

    Nous étions donc assis en pleine campagne dans des rocking-chair, sur une terrasse entourant une petite maison blanche aux volets bleus, à attendre que le soleil se couche, tels des vieux. Et pourtant je n'échangerais ma place pour rien au monde. La plupart du temps, j'avais l'impression que nous vivions une vie de couple normale. Sans pouvoirs. A deux, loin de tout. Même si nous faisions chambre séparée. A mon plus grand malheur! Aucun signe d'amour à l'horizon, juste parfois de la tendresse ou de la complicité. Même si elle avait gagné le pari, nous n'avions pas reparlé de notre histoire. C'était mieux ainsi, au moins, il n'y avait pas de tension entre nous. Ce qui était plutôt surprenant vu nos caractères bien trempés. Et puis, même si j'en mourrais d'envie, je serais incapable de lui faire l'amour. De peur de lui faire bien plus mal ou de lui demander une énergie qui n'était pas nécessaire. Ça me suffisait de vivre chaque seconde à ses côtés, de partager quelques moments simples comme celui-ci ou encore de l'admirer discrètement. Et quand l'angoisse de la perdre venait me tirailler les entrailles, j'essayais de la faire sourire. Dès qu'elle souriait, tout s'envoler. Ces sourires me réchauffaient le cœur. Ils venaient se graver dans mon être. Puis rapidement, je me souvenais qu'ils n'étaient qu'éphémères. Alors, je masquais ma peine et j'attendais le moment où elle m'en offrirait d'autres. 

    Doucement, je lui secouai l'épaule. Elle ouvrit les paupières, m'offrant ses beaux yeux noisettes encore endormis. D'un signe de tête, je lui désignai le soleil. Elle sourit et se redressa. C'était parti pour quelques minutes de silence. Je me demandais toujours à quoi elle pensait. Ensuite on rentrerait et l'un de nous préparerait le repas. On irait certainement lire devant la cheminée ou écouter de la musique. Puis chacun irait se coucher. Une existence la plus normale possible... Sauf que moi, Kalia loin de mes yeux, je ne trouverai pas le sommeil. Je me retiendrai d'hurler et j'enfuirai mon visage dans l'oreiller pour ne pas qu'elle m'entende pleurer. Et ma mère... Je n'osais même pas y penser. Chaque chose en son temps. Pour l'instant, je m'agrippais à tout ce que je pouvais pour tenir et ne pas me laisser submerger par la peur. La fin approchait beaucoup trop rapidement...

    Je fixai le couché de soleil mais mon esprit était ailleurs. C'était difficile d'aimer une personne qui ne vous aimait pas, on avait constamment envie de la faire tomber amoureuse de nous ou de lui reprocher avec rage que ce ne soit pas le cas. Or l'amour ne se contrôlait pas. On s'accrochait à ces quelques miettes qu'elle daignait nous offrir, l'espoir nous tailladant le cœur. Au moins, l'être cher était auprès de nous. Qu'importe notre tristesse, on était damnés à accepter la situation. On était vivants qu'auprès d'elle. Vivants... C'était bien plus difficile de voir mourir à petit feu l'être aimé et d'être impuissant. Nous aussi, on mourait. Je m'étais déjà sacrifié pour elle. Malheureusement, cette fois cela n'y changerait rien. Sinon, je l'aurais fait depuis l'annonce de sa maladie. 

Lestan.Où les histoires vivent. Découvrez maintenant