Chapitre 13

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Le plat principal venait tout juste d'arriver que Julie regrettait déjà d'être là. Gênée, elle surprenait parfois le regard des clients de Ryan sur son décolleté, et mourrait d'envie de prétexter un frisson pour remettre sa veste. Mais un regard acerbe de Ryan l'en dissuada. Elle se contenta de manger avec le plus de distinction possible sa viande en écoutant d'une oreille distraite la conversation.

Hélas, Julie ne comprenait pas grand choses aux termes employés. Elle se doutait bien qu'il s'agissait d'une affaire illicite, surtout quand des mots tels que "livraison" , "nourrice" ou encore "arrivage" lui arrivaient dans les oreilles. Seulement, Julie ne désirait pas en apprendre plus. Elle se disait que moins elle en saurait, mieux cela vaudrait pour elle. Alors elle gardait un sourire niais sur le visage, laissant ses yeux errer vaguement dans le petit salon privatif. Ryan semblait ravi de sa prestation de fille sotte. Elle remplissait parfaitement son rôle.
Finalement, jouer les plantes vertes n'était pas si difficile que cela. Julie se surprit même à penser que c'était de l'argent facile. Pas totalement à l'aise malgré tout, elle se risqua à répondre d'un sourire timide à un des hommes qui lui faisait des clins d'œil discrets. Dommage pour elle, l'homme perçut ce signe comme un encouragement et lui posa alors une question avec un fort accent mexicain. Julie ne comprit pas de suite la nature de la question, mais Ryan prononça quelques mots dans un mexicain parfait et l'homme ne dit rien de plus.

En revanche, Julie sentit avec un frisson d'horreur une main parcourir sa cuisse sans aucune gêne. Elle tenta de croiser les jambes pour dissuader cette main baladeuse, mais cela ne fonctionna pas. Au contraire, la main se fit plus insistante et remonta jusqu'à la limite de son intimité. Rouge de honte, elle jeta un œil vers Ryan mais celui ci souriait paisiblement. Ne sachant comment réagir, la jeune fille plongea ses yeux dans son verre et se contenta de serrer les dents face à ce qu'elle considérait comme une violation d'intimité. Heureusement pour elle, le dîner ne dura guère plus longtemps, et très vite, les convives se levèrent d'un seul mouvement. Il y eut de très brefs adieux hypocritement chaleureux, et Julie se retrouva seule avec Ryan qui se tourna vers elle, ravi.
Lentement, il sortit son portefeuille, et joua un moment avec une liasse de billets.

- Bon, finit il par dire. Je n'ai rien à dire sur ta....prestation.
- Vraiment ? maugréa Julie, l'air mauvais.
- C'était très bien, lui assura t'il. N'hésite pas à faire de nouveau appel à moi, si un jour tu es dans le besoin.

Ryan lui tendit les billets, mais attrapa son poignet au moment où Julie allait les attraper et l'attira contre lui avec une forte poigne. Julie se sentit trembler dans ses bras puissants, et la nervosité la gagna. Elle se raidit et tenta de se dégager, mais il la serra plus encore et elle sentit son autre main se glisser sans aucune pudeur entre ses cuisses.

- Lâchez-moi, gronda t'elle entre ses dents. Je ne suis pas une de ces nanas que l'on peut croiser sur les trottoirs !
- Tu n'as pourtant rien dit quand je t'ai caressé la première fois, ricana Ryan.
- Je...Je ne voulais pas, bégaya Julie en sentant des larmes d'impuissance lui monter aux yeux.
- Je sais, je sais, tu pensais à l'argent que ça allait t'apporter, continua Ryan et passant ses doigts à l'intérieur du sous-vêtement de la jeune fille. Mais en quoi cela fait de toi une fille différente de celles que l'on peut trouver sur le trottoir ?

Folle de rage, Julie lui jeta un regard glacial, mais plein de douleur. Il lui faisait mal. Il la touchait contre son consentement, elle se sentait souillée, sale, et plus les secondes passaient, pus il pénétrait plus profondément dans son intimité. Lui avait l'air d'apprécier le spectacle. Cette pauvre ado perdue, immobilisée et impuissante qui tentait vainement de se défaire de son emprise.
Avec un large sourire, il finit par la relâcher, et lui jeta quelques billets supplémentaires avec toute la condescendance et le mépris dont est capable d'exprimer un homme.

- Je suppose que l'on se reverra très vite ? dit il en lui jetant un dernier regard moqueur avant de sortir à son tour.

Julie resta quelques minutes, pantoise, à regarder ces billets qu'elle considérait comme sales. Elle fut prise d'une soudaine envie de vomir, et se précipita à la fenêtre pour lâcher ce qu'elle avait dans l'estomac. Heureusement, l'air était vivifiant, et elle avala une grande bolée d'air avant de se laisser tomber au sol, serrant ses jambes entre ses bras.
Une larme roula sur sa joue livide. Elle était furieuse après elle même, Et elle se sentait honteuse. Comment avait elle pu se laisser embarquer là dedans ? Comment pourrait elle encore regarder Kentin dans les yeux après ce qu'il s'était passé ?
Pourtant, les "gongs" de la somptueuse horloge de bois du restaurant la sortit de ses pensées, Et elle essuya d'un revers de main rageur ses larmes. Elle ramassa lentement les billets qui étaient éparpillés au sol et mit son manteau.  Elle ne dirait rien. Ce serait son secret. De toute façon, Comment pourrait elle avouer une telle chose à Kentin ?
Dans un état second, elle prit la direction de son appartement, ignorant jusqu'à la pluie qui la mouillait jusqu'aux os.
Elle ne tint pas non plus compte des regards mauvais des passants Quelle piètre allure devait-elle avoir !

Lorsqu'elle arriva dans le petit studio, elle ne vit pas tout de suite Castiel qui l'attendait, assis sur le rebord de la fenêtre, cigarette en main. Si au début il lui décocha un gentil sourire, ses lèvres s'affaissèrent vite quand il se rendit compte de l'état de la jeune fille. Son air livide l'alerta, et il s'avança vers elle, prêt à l'enlacer comme tout bon ami ferait. Mais il recula bien vite sous l'impact que fit la gifle que lui assena Julie.

- C'est de ta faute ! hurla t'elle. C'est...de..c'est TOI !

Castiel la regarda sans comprendre. Elle  lui jetait des mots incompréhensibles à la figure, avec un regard accusateur, mais il voyait bien les larmes qui perlaient à ses yeux. Et elle continuer de déblatérer des paroles dont il ne saisissait pas le sens, encore et encore. Jusqu'à ce que le mot *viol* lui parvienne.
Fou de rage, il bondit sur ses pieds et l'attrapa par les épaules.

- Quoi ?! Il t'as fais quoi ?!
- C'était le petit-fils, gémit Julie. Le petit fils de mon client. Il...

Incapable de se retenir plus longtemps, elle lui raconta ce qu'il avait fait, les joues rouges de honte. D'abord abasourdi, Castiel ne tarda pas à laisser éclater sa rage. Fou de colère, il cogna du poing sur le mur, les dents serrées.

- Ce sale con ! siffla t'il. Je vais aller le voir, et lui dire que...
- Tu vas rien dire du tout, soupira Julie. Regarde. 200$ de plus.
- Je me fiche de cet argent ! hurla Castiel. Ce n'était pas le deal !
- Et tu vas faire quoi hein ? rétorque la jeune fille d'un air las. Aller lui casser la figure ? Allons Cas'. Tu sais aussi bien que moi ce qui se passerait ! Payons notre loyer et tant pis.
- Tant pis ? répéta Castiel, incrédule. Tu vas laisser passer ça ?
- Et que veux tu que je fasse à part prendre sur moi ? Aller voir les flics ? Ici, dans cette ville ? Es-tu sérieux ?La meilleure chose que j'ai à faire, c'est oublier, payer mon loyer à ce rat de proprio, et retourner voir Kentin, dit Julie en baissant les yeux.

Consterné, Castiel garda le silence. Quand est-ce que Julie avait perdu cette douce flamme qui l'animait ? Quand est-ce qu'elle n'avait plus goût en la justice, et qu'elle se contentait d'être passive ? Le poids de cette vie était-elle trop lourde pour ses frêles épaules ? Peut-être l'avait il tout simplement sur-estimée, peut-être n'était-elle pas en état de subir des choses qui avaient bercé son quotidien depuis son plus jeune âge. Le monde morbide de la nuit était en train de la détruire, de la bouffer comme une hyène mange un cadavre. Et il s'en rendait compte trop tard.

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⏰ Dernière mise à jour : Jan 05, 2017 ⏰

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