Joséphine

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Je suis ravie de ne pas travailler, aujourd'hui. Je n'en peux plus des remarques qui se veulent de bons conseils de mes collègues. Remarques sur tout : ma façon de m'habiller, mon manque de maquillage, mes coiffures... C'est vrai que lorsque je me regarde dans le miroir, je n'ai rien à voir avec elles. Il faudrait juste qu'elles comprennent que je me fiche de leur avis.

Je me place à côté du téléphone, comme tous les samedis matin à la même heure.

Il sonne !

— Maman. Quelle surprise !

— Joséphine, tu n'oublieras pas de passer voir l'oncle Georges pour son ordonnance. C'est important.

— Maman, je ne suis pas médecin.

Je travaille depuis seize ans dans une clinique en tant que secrétaire et elle pense toujours que je suis capable de sauver des vies.

— Tu pourras lui apporter des pruneaux. J'ai peur qu'à force, il n'explose. C'est vrai que c'est dans les gènes, ça. Je suis sûre que c'est dû au stress. On est trop stressés. Moi, toi, l'oncle Georges.

— Je ne suis ni constipée, ni stressée.

— Tu vois, le déni est une cause du stress ! Aujourd'hui, je vais chez le coiffeur avec Lucette. Tu ne veux pas venir avec nous ? Elle est gentille la Lucette, mais elle a la manie de s'approprier la conversation, c'en est insupportable.

— J'ai quelque chose de prévu.

— Parfait ! 14h à l'accueil ?

Au bout de quelques secondes, elle se rend enfin compte de ma réponse.

— Quoi ? Depuis quand tu prévois des choses ? Tu as rencontré quelqu'un ? Il sait ?

— Je te raconterai la semaine prochaine. Je dois me préparer. Passe le bonjour à Lucette.

Je n'attends même pas qu'elle finisse et je raccroche avant d'aller m'installer sur mon canapé. La seule chose que j'ai prévu aujourd'hui c'est que justement je n'ai rien envie de faire. Juste rester là, chez moi, en pyjama.

J'ai l'impression d'être une rebelle.

Je suis une sorte de Jeanne d'Arc moderne !

                                                                                              ***

Je suis sur le net depuis une paire d'heures. Je viens justement de regarder un reportage très instructif sur la pucelle d'Orléans. Je déteste ce surnom. Cataloguer une femme de son importance par sa sexualité. Enfin, je devrais plutôt dire sur son manque de sexualité. Je soupire en pensant au mien... de manque. Ça va faire 425 jours que je n'ai rien vu de ce côté-là, que je n'ai rien eu entre les jambes excepté mon gant pour me laver. Je ne sais même pas me masturber. Je pensais que c'était inné, se donner du plaisir, seule... mais j'ai appris à mes dépens que non. Il faut dire que j'ai un rapport particulier avec mon entrejambe. Depuis que, à l'âge de quatorze ans, mon médecin, la bouche en fleur, m'a annoncé que j'avais une béance vaginale. Je revois ma mère pleurer dans le cabinet pendant que je restais stoïque face à ces mots mis bout à bout. « C'est une ouverture du vagin due à une faiblesse des muscles toniques du vagin. La béance vaginale est souvent associée à la béance vulvaire qui consiste... »

En gros, j'avais un vagin énorme et il y aurait peu de chance que je trouve un pénis pour le combler. J'ai maintenant trente-sept ans et je confirme : je n'ai pour le moment rien trouvé à ma taille.

Je tombe en faisant quelques recherches sur une drôle d'annonce :

« Homme recherche d'autres membres pour créer un cercle de personnes génitalement ou sexuellement handicapées. Aucune discrimination ne sera faite. Vous pouvez me joindre à littledick@gmail.com »

Littledick ?

C'est sérieux cette adresse ?

Au moins on sait directement de quoi retourne son problème.

Un cercle ?

Mais quelle drôle d'idée !

J'ai du mal à m'imaginer parler de mon complexe devant des inconnus. Je ne peux m'empêcher malgré tout d'être intriguée et décide de lui envoyer un mail.

« Bonjour,

Je ne sais pas vraiment si cette idée de club est une blague, mais je tenais à m'en assurer. Ayant moi même un handicap génital, j'avais envie d'en savoir plus.

Merci pour l'intérêt que vous porterez à mon mail.

BigPussy »

BigPussy ?

Je viens vraiment de signer ça ?

J'ai un souci, ce n'est pas possible.

Serait-il possible que ma béance ait atteint mon cerveau ?

J'ai à peine le temps de m'inquiéter sur le sujet que je reçois une réponse.

« Bonjour,

Je serais ravi de vous compter parmi les futurs membres de ce cercle si ça vous tente. Plusieurs personnes m'ont déjà contacté et nous essayons de convenir d'une date. Un soir de la semaine à partir de 20h, ça vous irait ?

Littledick »

Le Cercle Anonyme Des Supers-Héros Sexuels.**hors normesOù les histoires vivent. Découvrez maintenant