Phase 1.5.1 ☞Choix du Prince • Harley Goldman

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H A R L E Y

J'attends devant les écuries. Les hennissements d'un gigantesque cheval noir me font frissonner. Je ne sais pas monter. Je n'ai jamais voulu apprendre. Être proche de ces sales bêtes me rend malade. Mais je ne pouvais pas refuser l'invitation du Prince. Alors me voilà, attendant sans aucun plaisir qu'Aidan arrive.

Je n'ai pas à patienter longtemps. Il s'approche dans un superbe costume d'équitation. Il me sourit. Je déglutis.

-Bonjour Harley ! Comment allez-vous ?

Je le salue rapidement.

-Bien et vous ?

-Je suis ravi de me promener avec une aussi charmante demoiselle.

Il sera moins heureux dans quelques instants, lorsqu'il découvrira mon ignorance.

-Flatteur ! Malheureusement, je ne connais rien aux chevaux.

Il rit.

-Il n'est jamais trop tard pour apprendre !

Il se tourne vers des palefreniers et leur fait signe de la main. Aussitôt, on nous amène deux destriers. Je reconnais l'étalon noir que j'avais déjà aperçu. Je me sens pâlir. Le Prince s'amuse de mon malaise et je ne peux pas m'empêcher de lui envoyer un regard sombre.

-Ne vous énervez pas Harley ! Vous êtes si impassible d'habitude. Vous voir effrayée par un pauvre cheval est surprenant !

Alors, comme ça, j'ai l'air d'avoir peur ? Je renifle de dédain.

-Vous avez tort, Prince.

Il me regarde, peu convaincu. S'il savait à quoi il se mesurait, il ne prendrait pas cet air dubitatif. Je n'ai peur de rien, surtout pas d'un stupide canasson. Bien droite, comme si tout cela m'était familier, je m'approche de la selle de l'autre cheval, qui est heureusement, plus petit et moins farouche.

J'observe Aidan et tente d'imiter ses mouvements. Je pose mon pied gauche dans l'étrier et passe ma jambe droite par-dessus la croupe de ma monture. Je me redresse et lance un regard prétendument ennuyé au brun.

-Ce n'était pas difficile, non ? Ose-t-il me demander, à moitié rieur à moitié sérieux.

-Non, en effet.

Les mots me brûlent la bouche comme s'ils étaient faits d'acide. Je me sens humiliée. Je hais me retrouver en situation de faiblesse.

Le Prince commence à s'éloigner, et j'essaye de le suivre. Je me force à respirer calmement, je refuse que quiconque voie ma panique. Au fur et à mesure que le palais disparaît derrière nous, je me détends. Sans doute parce qu'il n'y a plus personne pour m'observer. Aidan est à quelques mètres devant moi. Malheureusement, il s'arrête et je suis forcée de le rejoindre.

-Pour une débutante, vous vous en sortez plutôt bien.

-Je vous l'avez dit.

Il sourit. Une lueur espiègle danse dans ses yeux.

-C'est vrai. Mais maintenant que vous avez démontré vos talents de cavalière, vous ne refuserez pas une course ?

Je pâlis et il a l'élégance de ne pas le relever. Je ne peux pas refuser.

-Avec grand plaisir !

Il part aussitôt au galop. Je m'élance à mon tour, en retard. Je n'ai aucune maîtrise sur mon cheval. Le vent me fouette le visage, gèle ma peau, tire mes cheveux. J'ignore ce que je fais, où je vais...

Mais je finis par oublier la bise froide, l'inconfort de la selle, le manque de contrôle sur ma monture.

Les yeux fermés, je me sens libre. Terriblement libre. Comme si toutes les frontières avaient disparu. Je me sens capable de tout faire, d'aller partout. Un mélange d'adrénaline et de puissance bouillonne dans mes veines. Le vent pourrait m'emporter, loin, si loin...

Mon cheval s'arrête d'un coup et je lance un regard égaré au Prince qui tire les rênes que j'avais lâchées.

-Que faites-vous ?

-Vous êtes partie dans la mauvaise direction et vous alliez si vite que j'ai fini par avoir peur.

Son ton inquiet me surprend. Je me racle la gorge.

-Je suis désolée.

-Descendons, vous n'avez pas l'air bien.

J'accueille avec plaisir le retour à la terre ferme. Nous marchons en silence pendant quelques minutes. Finalement, je me tourne vers Aidan.

-Alors, c'est cela votre passion ? L'équitation ?

Il me regarde perplexe.

-Oui. Cela vous paraît étrange ?

Je secoue la tête, consciente de ma maladresse.

-Non, je vois ce que vous recherchez dans cette activité. Cette sensation de liberté qui vous prend les tripes... Je comprends que vous l'aimiez.

Un sourire triste étire ses lèvres :

-Vraiment ?

Je fronce les sourcils et me place devant lui, l'empêchant d'avancer.

-Bien sûr que je comprends ! Le poids de la couronne est lourd, vos devoirs sont nombreux et vous n'avez que peu de liberté. Mais vous n'êtes pas le seul à vous sentir étouffé par vos responsabilités ! Il m'arrive aussi de vouloir tout foutre en l'air !

Il se rapproche, l'air grave.

-Et pourquoi ne pas le faire ?

-Parce que, même si elle peut être asphyxiante, j'aime ma vie. Parce que se serait horriblement lâche et égoïste de partir !

Aidan reste muet. Quand il reprend la parole, sa voix est un murmure :

-Et si votre métier vous faisait faire des choses terribles, continueriez-vous de trouver lâche l'envie de tout quitter ?

Lentement, je me rapproche de lui et prends sa main. Je réponds avec le plus de douceur possible :

-Tout dépend de « pourquoi » vous avez commis ces actes.

Il serre plus fort ma main.

-J'ai fait des choses qui vous dégoûteraient, Harley. Des choses qui m'empêchent de dormir. Si vous saviez...

-Je ne suis pas innocente, Aidan. J'ai accompli, pour mon travail, des actions abominables mais nécessaires. Je comprends vos remords et vos peurs, je les partage. Mais nous devons, pour nos familles, nos amis et tout ce qui nous entoure, surmonter ces doutes et nous montrer plus forts que la crainte. Vous êtes courageux Aidan, plus courageux que vous ne le pensez.

Nous restons un long moment silencieux. De mon pouce, je caresse le dos de sa main, dans un geste que j'espère rassurant. Je commence seulement à apercevoir l'homme, derrière le masque du prince parfait. Et cet homme que je découvre, avec ses joies et ses peines, me plaît dangereusement.

L A P R I N C E S S E ♛ - Jeu de rôleOù les histoires vivent. Découvrez maintenant