Chapitre 5 - Le passage

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En sortant de l'armoire, je me rends compte immédiatement que quelque chose ne va pas. L'air est différent, presque électrique. La lumière, froide et artificielle, s'infiltre par les hautes fenêtres du hangar, dévoilant des formes industrielles étranges. Je tâtonne pour trouver une sortie, mes doigts glissant sur des murs métalliques et froids, jusqu'à ce que je tombe enfin sur une lourde porte coulissante.

En l'ouvrant, je suis éblouie. Devant moi s'étend une ville... mais pas celle que je connaissais. Une sorte de version parallèle, ultra-moderne, comme si quelqu'un avait reconstruit mon monde en utilisant des rêves futuristes.

Les rues sont propres, trop propres. Des bâtiments en verre s'élèvent si haut qu'ils semblent effleurer le ciel. Certains ont des formes sinueuses, presque organiques, d'autres se dressent comme des flèches acérées. Je reste là, bouche bée, essayant de reconnaître cette ville qui aurait pu être la mienne. La cartographie est vaguement familière, mais tout le reste... les bâtiments, l'atmosphère, même l'odeur... tout a changé.

Et les gens.
Ils défilent autour de moi, pressés, sans me jeter un regard. Leurs vêtements me frappent immédiatement : certains sont enveloppés dans des tenues monochromes et austères, noirs ou gris, presque militaires, tandis que d'autres arborent des couleurs vives, des imprimés étranges, et des accessoires que je ne saurais même pas nommer. Une diversité fascinante, mais qui me fait sentir terriblement déplacée.

Alors que je reste plantée là, un garçon me bouscule. Je vacille légèrement et le regarde, décontenancée.

— Hé, mais tu t'es cru dans un événement de cosplay ou quoi ?! lance-t-il en ricanant avant de disparaître dans la foule.

"Cosplay ?" Je ne comprends pas ce mot. Mon cœur s'accélère. Je suis une étrangère ici. Une étrangère dans ce qui était censé être chez moi.

Je baisse les yeux sur mes vêtements : une robe démodée, simple, héritée d'un autre temps. Je comprends que pour me fondre ici, il va falloir que je change, littéralement.

Je déambule dans les rues, cherchant un endroit où acheter des vêtements. C'est alors que je tombe sur une enseigne lumineuse qui clignote : H&M. Les lettres ne me disent rien, mais les mannequins dans la vitrine portent des vêtements qui ressemblent à ce que les gens ici considèrent comme "normal".

Une fois à l'intérieur, je suis submergée par un mélange de musique électro et de discussions bruyantes. Les rayons débordent de vêtements : jeans déchirés, t-shirts avec des slogans étranges, vestes en cuir synthétique... Je me dirige vers la caisse, mon porte-monnaie en main.

— Bonjour, dis-je timidement à la caissière.

Elle lève les yeux, d'abord intriguée, puis amusée, en voyant mes pièces de monnaie.

— Mais... c'est des francs, ça ?! Elle éclate de rire.

Je sens le rouge me monter aux joues.

— On est en 2016, mademoiselle. Les francs, c'est fini depuis longtemps. Maintenant, on utilise l'euro. Vous devriez aller à la mairie pour échanger ça.

Je bredouille un remerciement maladroit et ressors, encore plus perdue. En 2016 ? Mon esprit s'emballe. Comment est-ce possible ? La dernière chose dont je me souvienne, c'est l'année 1999...

Guidée par les instructions d'un passant, j'arrive finalement devant la mairie. Le bâtiment est imposant, avec des façades en béton et en verre. Une secrétaire m'accueille avec un sourire poli, mais son expression change quand je lui tends mes quatre mille francs.

— Ça fait un moment qu'on ne voit plus ça, dit-elle en les examinant. Vous savez que cette somme, en euros, vaut beaucoup moins ?

Quand elle revient, elle me tend six cents euros. Six cents... Je peine à dissimuler ma déception. Quatre mille francs semblaient être une fortune, mais maintenant...

Je retourne au magasin et choisis deux tenues. Un jean ajusté et un haut simple. Les prix me choquent, mais je paie, bien décidée à m'intégrer. Pour la première fois, je me sens presque comme l'une d'entre eux.

Il me reste encore un peu d'argent, alors je décide de pousser l'expérience plus loin : direction un salon de coiffure. Là, une coiffeuse souriante m'explique qu'aujourd'hui, les perruques sont dépassées. Ici, on travaille directement sur les cheveux.

— Un carré, propose-t-elle. C'est moderne, épuré.

Je hoche la tête, un peu nerveuse. Les ciseaux dansent autour de mon visage. Quand elle a fini, je me regarde dans le miroir et je peine à me reconnaître. Le carré encadre mon visage d'une manière nouvelle, symbolisant un changement radical.

En sortant du salon, je prends une grande inspiration. J'ai franchi une étape, un véritable nouveau départ. Mais l'angoisse demeure : je suis une voyageuse hors du temps. Combien de secrets ce monde étrange et ultra-moderne recèle-t-il encore ?

Alice et le Pays des Mensonges.Où les histoires vivent. Découvrez maintenant