Chapitre 8 - L'illustre inconnu

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Arrivée dans ma chambre, je trouve Anaïs étalée sur son lit, l'esprit absorbé par son téléphone. Elle ne me regarde même pas quand je lui annonce que mon voisin de casier est Steven. Juste un sourire en coin, plein de sous-entendus. Elle lève les yeux, et son regard est suffisant pour faire comprendre qu'elle sait déjà tout.

"Ah, Steven... Tu vas craquer, c'est sûr !"

Je la fusille du regard, un peu agacée.

"T'arrêtes de te faire des films ! Il ne m'intéresse pas. Les mecs comme ça, les machos qui ne savent que draguer, je les fuis à toute vitesse."

Elle rigole et me lance un clin d'œil. Mais je n'ai pas envie de me perdre dans ses rêves à elle. Pas cette fois.

Le lendemain matin, je me lève en traînant des pieds. Pas le temps d'être fatiguée, j'ai des choses à faire, des gens à éviter, des décisions à prendre. Je m'habille rapidement. Un jean déchiré qui montre un peu trop de peau, une paire de Puma noires, et par-dessus, une veste de style "bomber" et de couleur rose gold, afin de me donner un aspect plus assumé. Mes cheveux sont attachés en deux nattes serrées qui collent contre mon crâne, une sorte de bouclier contre le monde extérieur.

Je branche mes écouteurs, lance ma playlist, et je m'engouffre dans les couloirs du bâtiment B1. La musique envahit mes oreilles et me coupe du reste.

Quand j'arrive devant les casiers, je tombe sur lui. Steven. Il est là, entouré d'un groupe de filles, apparemment en train de leur dire à quel point il est "le meilleur" et de leur faire des sourires dont seul lui connaît la signification. Le genre de sourire qui ferait fondre n'importe quelle fille. Mais moi, je reste de marbre. Parce que derrière ses muscles, c'est juste un gars comme un autre. Un de ceux qui essaient de se prouver qu'ils sont des hommes. Mais ça ne marche pas sur moi.

Je me précipite vers mon casier, l'ouvre, et fais mine de ne pas le remarquer. Mais je sens son regard sur moi. Et je sens qu'il a remarqué que je ne m'intéresse pas à lui.

Quelques secondes plus tard, il s'approche, et sans gêne, il dit aux filles de s'éloigner. Je laisse mes écouteurs dans mes oreilles, refusant de lui accorder une seconde de mon attention. Il m'enlève un écouteur, brutalement, comme s'il pensait que c'était son droit.

"Tu devrais m'écouter quand je parle."

Son ton est autoritaire, et moi, je suis furieuse. C'est quoi ce délire ? Je veux juste écouter ma musique tranquille. Alors sans réfléchir, je fais ce que je ferais avec n'importe quel abruti qui me casse les pieds. Je lui colle une claque bien nette, juste là, sur la joue. La sensation de ma main qui frappe sa peau est aussi violente que la montée d'adrénaline dans mon corps. La marque rouge qui reste est comme un avertissement.

"La prochaine fois que tu me casses les couilles, que tu essaies de me draguer, et que tu arrêtes ma musique, je te castre, c'est clair ?!"

Il reste sans voix, et tout ce que je vois, c'est son regard qui passe de l'arrogance à la surprise. Il se tait, et sans un mot de plus, il s'éloigne, tout penaud. Je prends une grande inspiration, mais je n'ai pas le temps de me calmer que je vois tous les regards braqués sur moi. Je reste là, l'esprit bouillonnant, attendant que tout le monde se détende.

Je cherche Anaïs du regard, et c'est là que je le vois. Un garçon étrange, tout au bout du couloir. Il est seul, et il dégage quelque chose... C'est comme s'il appartenait à un autre monde. Un monde que je n'arrive pas à cerner.

Anaïs m'arrive par derrière, voyant mes yeux fixés sur cet inconnu.

"C'est Prosper." Elle parle d'un ton presque respectueux, mais aussi un peu inquiet. "Personne ne lui parle, tu sais. Les gens le trouvent bizarre."

L'adrénaline me monte encore, une impulsion irréfléchie, un élan que je n'avais pas prévu. Sans réfléchir, je me dirige vers lui, laissant Anaïs surprise et un peu perdue derrière moi.

Il relève la tête, ses yeux se posent sur moi. Ils sont d'un vert éclatant, quasiment irréel, et tout à coup, je me sens happée par ce regard. C'est comme s'il n'y avait aucune émotion dans ses yeux. Comme s'il n'avait rien à voir avec ce monde. Mais en même temps, il y a quelque chose de profond, quelque chose qui me bouleverse.

Je suis perdue dans ses yeux, et je me rends compte que j'ai oublié pourquoi j'étais venue.

Il me fixe un instant, et je suis sur le point de partir, de m'enfuir, mais il rompt le silence.

"Tu veux quoi ?" Sa voix est calme, distante, comme s'il n'avait pas vraiment envie d'être dérangé.

Je me présente, hésitante, presque intimidée par l'aura de mystère qui l'entoure. Il semble hésiter un moment, puis il se présente à son tour, d'un ton aussi froid que sa manière de m'observer.

Pour clôturer ce moment étrange, nous nous serrons la main. Et là, tout s'embrouille. Le contact de sa peau contre la mienne me donne un choc. Une décharge, comme si le monde entier s'était mis à tourner plus vite. Une seconde, je suis à la fois ici et ailleurs. Puis, tout s'arrête. Le sol disparaît sous mes pieds.

Tout devient noir.

Je me réveille, la tête lourde, comme si j'avais bu un océan de café et que rien n'avait fait effet. Je suis dans une pièce que je reconnais à peine. Lentement, les souvenirs me reviennent. Prosper. La poignée de main. Et puis... tout s'est effondré.

Je comprends alors que je suis dans la salle de repos de l'infirmerie. Mes yeux se déplacent petit à petit. Une silhouette apparaît dans l'embrasure de la porte. C'est l'infirmière, son regard bienveillant, mais ferme.

"Reste encore un peu, tu devrais. C'est mieux pour toi."

Je m'assois sur le lit, le cœur battant encore un peu trop fort, et je vois Anaïs arriver, l'air inquiétée, les yeux brillants de larmes.

"Mais... Qu'est-ce qui vous est arrivé ? Pourquoi vous êtes tombées toutes les deux ?" Elle est paniquée, et moi, je n'ai pas de réponse. Je n'ai pas de réponse à ça.

Je la regarde, mais mes pensées sont ailleurs. Prosper... Il doit être là, quelque part, dans l'école, sans doute. Mais qu'est-ce qui vient de se passer ?

Je ferme les yeux un instant, épuisée. Les courbatures du corps et la fatigue mentale me saisissent. Il est temps de dormir. Demain, peut-être, je pourrai enfin comprendre. Mais pas ce soir. Pas ce soir.

Demain sera un autre jour.

Alice et le Pays des Mensonges.Où les histoires vivent. Découvrez maintenant