Douze.

182 14 0
                                    

« Tout le monde dit que je suis folle sans chercher à savoir ce que je cache. »

Après.

J'avais finalement été autorisée à quitter l'hôpital deux semaines après l'incident qui s'était produit avec Mona au groupe de parole. Mon diagnostique étant été posé et mes crises atténuées, le docteur McCall n'avait plus aucune raison de me garder ici. Il avait été convenu que je continue ma psychothérapie à raison d'une séance toutes les deux semaines chez un psychiatre de mon choix mais j'étais désormais libre. C'est comme ça que Donald, mon aide-soignant préféré, m'avait représenté la chose. « Tu es autorisée à quitter l'établissement, m'avait-il dit de sa voix claire, sincèrement heureux que je puisse partir. Tu es libre. Fais bien attention à toi, maintenant ».

En réalité, je ne me sentais pas tout à fait libre à cet instant. Ni au cours de ceux qui ont suivi. Je me savais déprimée et mal dans ma peau mais une partie de moi continuait de croire ce que mon médecin traitant m'avait dit lorsque j'avais parlé de mon mal-être. Je restais une adolescente qui entamait à peine ma vie d'adulte et cela m'angoissait forcément. Je n'étais pas malade, simplement perdue. Sauf qu'il avait eu tord. Et moi aussi, par la même occasion. Parce que l'équipe soignante de l'hôpital m'avait gardé ici pendant presque trois mois avant de poser un diagnostique sûr et définitif. J'étais borderline. J'avais déjà lu des bouquins qui en parlaient lorsque j'avais cherché à savoir quel était le problème chez moi (à noter que sur un site, en énumérant mes « symptômes », j'avais réussi à m'auto-diagnostiqué une tumeur au cerveau au stade quatre avec une altération général de l'état de santé) mais jamais je n'aurais cru que je faisais partie de l'une de ces personnes instables psychologiquement. Je n'ai pas non plus aimé la façon dont le docteur McCall me l'a appris. Comme si être atteint d'un trouble de la personnalité n'était pas plus grave qu'avoir un rhume. Il me condamnait et gardait malgré tout un professionnalisme sans faille. « Bonjour Ailis, tu vas vivre avec ce TPL toute ta vie, tu vas continuer d'aller mal, de vouloir mourir et de pourrir la vie de tes proches. Tu veux un thé ? Au fait, tu sors d'ici dans trois jours. Congrats ! » Bien sûr, il y avait mis les formes –il restait tout de même un médecin en psychiatrie- mais cela résumait plutôt bien notre conversation. Il fallu que j'attende le lendemain matin pour qu'on m'explique clairement ce qu'était ce « Trouble de la Personnalité Limite ». Parce que forcément, lorsqu'on m'avait parlé de TPL, j'avais pensé que j'étais une demeurée. Je m'étais alors souvenue de Marc, ce quarantenaire un peu simplet qui avait fait un rapide passage à l'hôpital au début de mon internement. On disait qu'il avait une « déficience mentale sévère ». Autrement dit, il avait la même capacité intellectuelle qu'un enfant de cinq ans. De grancs mots pour dire de bien simples petites choses. J'avais alors cru qu'un TPL était aussi un mot scientifique pour qualifier une petite maladie passagère. Bridget, ma psychologue référent, mit fin à mes espoirs lors de ce rendez-vous.

Je pris place sur le fauteuil qu'elle me désigna d'un signe de tête mais à l'inverse des séances précédentes, elle ne s'assit pas sur son habituelle chaise pour annoter mes remarques ou mon état d'esprit actuel. Tout était différent, cette fois-ci. Elle s'assit derrière son important bureau et étala devant elle l'ensemble des notes qu'elle avait prises à mon sujet. Un sourire s'empara de ses lèvres, satisfaite. J'étais certaine que c'était elle qui avait trouvé le trouble dont j'étais atteinte. De tous les membres du personnel, elle était la seule à qui j'avais accordé ma confiance en me laissant aller dans des confidences. C'était aussi la première personne qui m'avait dit que j'avais un problème. Elle me l'avait dit comme ça, alors que je pleurais pour la première fois en public depuis mon arrivée ici : « Tu n'es pas folle, Ailis. Oui, tu as un problème mais c'est indépendant de ta volonté. Je crois profondément qu'il y a quelque chose qui ne va pas chez toi et on peut le réparer. Si tu ne veux plus de ton traitement, on peut le stopper temporairement et ensemble, le docteur McCall et moi, on verra ce qu'on peut faire pour te faciliter la vie. On est là pour toi, pour t'aider. Et si ces médicaments ne t'aident pas, tu n'es pas obligée de les prendre. Tu n'es pas folle, Ailis, tu es juste malade ». Et aujourd'hui encore, Bridget débuta sa tirade de la même manière.

Baisers Salés.Où les histoires vivent. Découvrez maintenant