Introduction

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   Maman m'a toujours dit de ne pas croire les Blancs. Jamais, et sous aucun prétexte. Elle m'a aussi recommandé d'écouter poliment ce qu'ils ont à nous dire, de ne surtout pas les regarder dans les yeux et de s'en aller sans un mot une fois leur discours terminé. Je ne sais pas trop ce que Maman trouve de mal chez les Blancs. Ils ne sont même pas blancs. J'essaie tout le temps de lui dire qu'ils ne sont pas blancs, mais à chaque fois je me fais disputer. La vendeuse de confiseries est Blanche, le glacier est Blanc, le gentil monsieur qui tient le kiosque à presse est Blanc. Et puis en plus, Papa est Blanc. Je crois que Maman est triste, peut-être aussi en colère contre Papa, c'est sûrement de cette douleur que lui vient cette haine.

   Moi, je m'appelle Aïcha. Avec Maman, Isaac, Ahmed et Aloïs, j'habite dans un petit appartement qui sent la cigarette. On y est un peu serré, mais moi j'aime bien dormir avec Aloïs.

   Aloïs c'est ma grande sœur, je l'aime beaucoup et elle prend soin de moi. Elle est toujours à l'appartement, puisqu'elle ne va pas au lycée. C'est un secret, et Aloïs ne veut surtout pas que Maman le sache. Elle m'a raconté que le lycée, c'est «plein de gens cons, racistes, immatures et désagréables», et que de toute façon, «ils n'en ont rien à faire de sa présence ou de son absence». Alors elle ne veut plus y aller, et elle passe ses journées avec Ila, sa meilleure amie.

   Ila porte toujours une sorte de foulard tout fin autour de sa tête, elle ne l'enlève jamais. Moi j'aimerais lui dire que garder quelque chose sur la tête à l'intérieur c'est impoli, mais comme elle est très gentille et qu'elle pleure beaucoup, je n'ose pas.

   Isaac aussi s'occupe beaucoup de moi. Il m'accompagne tous les jours à l'école, avant d'aller au collège en bus avec ses copains. Après les cours, il m'emmène dans la cour de l'immeuble pour jouer au foot. Le terrain est tout petit, il y a souvent beaucoup de monde. Mais moi j'adore le foot, et Isaac aussi. Il m'apprend plein de choses, des positions et des techniques avec des noms bizarres, comme le «contrôle porte-manteau».

   J'ai aussi un autre grand frère, Ahmed, mais en ce moment il n'est presque jamais là. Maman se dispute tout le temps avec lui, le soir j'entends des insultes, Maman qui gifle Ahmed. Il passe son temps au commissariat municipal, parce-qu'il fait beaucoup de bêtises. Aloïs le trouve «abruti», «chiant», et «inconscient», mais moi je l'aime bien quand même. Il m'a même offert un vrai maillot de l'Atlético Madrid d'Antoine Griezmann pour mon anniversaire.

   D'ailleurs c'est bientôt mon anniversaire. Mais pour l'instant j'ai encore neuf ans trois quarts. Je suis contente d'avoir cet âge-là, parce-que quand on me le demande, je peux répondre «J'ai neuf ans trois quarts, comme le quai de la gare dans Harry Potter !»

   Papa me manque beaucoup. Il n'aime plus Maman en amour depuis longtemps. Il est parti vivre à Londres, et je ne vais presque jamais chez lui. Maman n'aime pas nous y emmener. Elle dit que Papa «n'est plus très fréquentable, qu'il est raciste et hypocrite». Mais moi je sais qu'au fond elle a peur de le revoir. Elle l'aime toujours, c'est Aloïs qui me l'a dit. L'amour ça m'a l'air très compliqué, surtout que lorsque Papa et Maman étaient encore mariés, d'autres femmes étaient amoureuses de lui en même temps. Aloïs appelle ça «un adultère» ou elle dit que Papa est «polygame» et «vachement faux-cul». Elle n'a pas voulu m'expliquer ces mots, il faudra que je cherche dans le dictionnaire.

Le Carnet d'AïchaOù les histoires vivent. Découvrez maintenant