Je n'ai vraiment pas la même définition de l'expression «profiter de ses vacances» que les autres enfants. Les parcs publics, où j'ai l'habitude de venir me poser tranquillement, sont soudain envahis de dizaines d'enfants en vacances agités et survoltés, accompagnés bien souvent de leurs grands-parents. Les toboggans au plastique devenu brûlant sous la chaleur du soleil haut dans le ciel, les échelles de corde sèche, les rampes en fer rouillé, les ponts à la solidité douteuse, tout cela ne m'attire pas. Je vois bien que tout le monde a l'air d'aimer faire de la balançoire, monter à plusieurs sur un tourniquet ou sauter à pieds joints sur un cheval en bois à ressorts, mais moi je préfère m'asseoir sur un banc et lire. Je sais qu'Isaac trouve ça étrange, je sais que tous les enfants et grands-parents autour de moi se chuchotent indiscrètement des choses qui ne m'atteignent pas en me pointant du doigt. Pourtant, personne ne m'interdira de dévorer des chapitres entiers de livres passionnants, le nez au soleil et les jambes croisées, ou de goûter à de nouvelles aventures palpitantes loin des cris et du bruit des jeux impossibles des autres petits vacanciers.
Jeff a pris l'avion hier soir avec sa mère et son frère. Ils partent tous les trois à Tahiti durant un mois et une semaine. Le père de Jeff a versé une certaine somme d'argent sur le compte en banque de Pétunia pour lui permettre de profiter de ses vacances avec leurs deux fils. Je crois que depuis que ses parents sont séparés, Jeff va mieux. Non pas qu'il se réjouisse de leur pause amoureuse, mais l'atmosphère quotidienne, chez lui, est nettement plus agréable à présent. Et puis, depuis peu, le père de Jeff s'est adouci. Il avait toujours été un mari violent, capricieux et exigeant, ainsi qu'un père égoïste, sans amour ou intérêt pour sa progéniture, plein de mépris, mais Jeff m'en parlait désormais comme d'un homme grandi et amélioré. Il commençait à éprouver un semblant d'affection pour son fils et, dans une lettre pleine de sincérité surprenante adressée à sa femme, avait exprimé sa volonté de connaître Jean-Louis.
J'espère que Jeff pourra poursuivre sa scolarité dans le même collège que le futur mien, car il m'avait dit que sa mère voulait l'inscrire dans un collège privé. Même si je sais que, de toute façon, nous resterons toujours amis, frère et sœur d'école, et nous ferons tout pour nous revoir le plus souvent possible. Avant de partir, Jeff m'a laissé un DVD, c'est rare qu'il m'en prête. D'habitude, je lui emprunte des livres ou des jouets. C'est lui qui a tenu à ce que je le regarde pendant les vacances. Il m'a dit que je ne comprendrais peut-être pas tout, mais il est convaincu que je saisirai le message. Alors, quand il m'a dit ça, j'ai été très étonnée, mais je lui ai promis de le regarder avec Aloïs. Je crois que le titre est «Je vais bien ne t'en fais pas»...
À la maison, plus personne ne pense à la semaine en famille dans les Pyrénées. Tout le monde pleure, déprime, s'isole, il n'y a plus un mot lors des repas, et les lumières s'éteignent tous les soirs vers vingt heures... Pour essayer d'oublier, je continue de tourner dans le quartier pour récolter des sous, qui finiront sûrement par devenir mon argent de poche si Maman ne revient pas à temps pour partir avec nous... Mais je ne veux pas croire ça. Personne ne le veut. Pourtant, l'espoir s'efface peu à peu de jour en jour, au fur et à mesure que l'absence de Maman devient fatale réalité.
Aloïs est tellement paniquée qu'elle s'imagine les pires histoires. Elle voit du complot partout. Elle pense même que Papa aurait menti et préparé un sale coup avec les Johnston. Car pourquoi auraient-ils si facilement accepté de verser, tout de même, un mois de salaire à Maman, et de lui accorder un mois de vacances, précipitées par un appel d'un père qui n'avait jusqu'alors pas donné la moindre nouvelle depuis trop longtemps ?
Il est bien vrai que les événements prennent une tournure vraiment étrange, que tout le monde est perturbé et inquiet, mais de là à soupçonner Papa... Car pour valider les propos d'Aloïs, il faudrait déjà pouvoir comprendre la raison qui aurait éventuellement poussé Papa à agir de la sorte...
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Le Carnet d'Aïcha
Non-Fiction«On ne peut pas peindre du blanc sur du blanc, ni du noir sur du noir. Chacun a besoin de l'autre pour se révéler.» proverbe africain «Qu'il soit juif, noir ou arabe, un type bien est un type bien et un enfoiré sera toujours un enfoiré.» Guy Bedos...