Ce n'est pas le travail qui cherche Maman, c'est Maman qui cherche le travail. Maman vient d'être renvoyée par M et Mme Beauséjour de leur somptueux palais. Elle pleure depuis qu'elle a reçu le SMS de ses anciens employeurs. Aloïs essaie de la consoler, mais moi je ne sais pas comment réagir. Si Maman n'a plus de travail, nous n'aurons plus de sous.
Isaac est descendu dans la cour. Il est parti jouer au foot avec ses copains. Aloïs lui hurle par la fenêtre de la cuisine des insultes et des menaces. Elle l'accuse de ne pas penser à Maman, à notre famille. Je sais que ce n'est pas vrai. Isaac n'aime pas quand Maman pleure, il a envie de pleurer aussi, même s'il a quinze ans. Alors je pense qu'il préfère s'en aller pour ne pas pleurer. Il m'a dit qu'il avait une réputation à tenir.
Même si je crois que Maman utilise un peu trop le mot «raciste», M et Mme Beauséjour n'ont pas de raison valable de renvoyer Maman. Peut-être qu'elle a elle finalement raison. Moi personne ne me reproche le fait d'être Noire. À l'école, personne ne se juge, et j'ai un peu peur du collège. Isaac m'a dit que le collège, c'est le pire endroit au monde si tu veux la paix, l'égalité, la liberté et la solidarité. Mais il m'a aussi dit que je ne devais pas avoir peur, que j'étais plus forte que ces «kikous» et ces «kékés».
Aujourd'hui c'est lundi. Tout le monde est fatigué, j'aimerais beaucoup pouvoir dormir un peu plus. Je pense qu'Isaac va rater son bus. Moi je suis prête. Je suis assise sur ma chaise, je serre mon Carnet contre moi. Maman pleure toujours, et son maquillage coule sur ses joues avec ses larmes de colère. J'attends qu'on m'emmène, je ne sais pas si je peux me perdre en allant à l'école.
Aloïs m'a accompagnée à l'école. Je me suis assise sur un banc dans la cour, et j'ai posé mon cartable sur mes genoux. Alors Jeff est venu s'asseoir à côté de moi. J'ai sursauté.
Jeff est roux. Il m'a toujours dit que c'était important pour lui, alors dès que je devais le présenter ou parler de lui, il ne fallait pas que j'oublie de le signaler. C'est un garçon dans ma classe, il est plus petit que moi. Ses parents l'ont appelé Jeff en hommage à Jeff Tuche, qui en plus était roux. Jeff déteste son prénom, alors tout le monde l'appelle Bob. Bob, c'est son nom de famille à l'envers. Mais aussi à l'endroit. Jeff-Bob m'a demandé pourquoi je restais toute seule sur un banc, pourquoi je n'allais pas rejoindre Claire et Anaïs, mes deux meilleures amies.
Je lui ai répondu que Maman n'avait plus de travail, ça l'a fait sourire.
Il m'a dit que Maman ne pouvait pas ne plus avoir de travail. Parce-que Maman c'est déjà un sacré travail.
Ça m'a fait rire, et puis la cloche a sonné et la maîtresse est venue nous chercher.
Alors je me suis dit que tout n'était pas perdu et que Maman ne pleurerait bientôt peut-être plus.
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Le Carnet d'Aïcha
Phi Hư Cấu«On ne peut pas peindre du blanc sur du blanc, ni du noir sur du noir. Chacun a besoin de l'autre pour se révéler.» proverbe africain «Qu'il soit juif, noir ou arabe, un type bien est un type bien et un enfoiré sera toujours un enfoiré.» Guy Bedos...