Je suis recroquevillée sous la table de la cuisine, mes genoux entourés de mes bras. Je ne quitte pas la porte d'entrée de la maison des yeux. Je voudrais tellement que quelqu'un entre ! Je la vois très bien d'ici, je la surveille attentivement, presque jusqu'à cesser de cligner des yeux. J'ai peur, je suis triste et mal à l'aise. Je sers mon Carnet contre moi, personne ne me le prendra, il est tout ce qu'il me reste de liberté.
Tout est allé très vite, trop vite pour que j'y comprenne réellement quelque chose.
Le garçon que Jeff a attaqué, Malo, à tout raconté à son grand frère lycéen, lui aussi raciste et apparemment très abruti. Il lui a demandé d'aller frapper «Le Roux et la Nègre» ce midi, après l'école. Et moi, de mon côté, j'ai rapporté tous les événements à Isaac, et je n'aurais vraiment pas dû... Il est très en colère et veut nous défendre, Jeff et moi. Il va aller rencontrer le frère de Malo devant la grille de l'école.
Je crois que j'ai fait une grosse bêtise. Maman et Aloïs n'en savent rien, puisqu'Isaac leur a menti en disant qu'il voulait m'emmener à l'école ce matin, mais il m'a ordonné de rester ici. Et je ne sais même pas où est parti Ahmed...
Je ne sais pas du tout ce qu'il va se passer. Je tremble malgré moi, je suis seule et complètement coincée, dans une sorte de malentendu malvenu dont je ne peux malheureusement plus échapper...
Hier soir, je n'ai donc pas rencontré Jean-Louis Bob, faute de temps et surtout parce-qu'il valait mieux pour Jeff qu'il rentre tôt chez lui. J'ai passé la soirée à me perdre dans un flot ininterrompu de sombres pensées contraires, et je suis toujours perdue. J'ai l'impression d'être un aveugle ignorant, sourd et muet, que l'on envoie se promener seul dans Paris.
Je n'y suis pour rien dans cette histoire. Je pense sincèrement que Jeff non plus. Il a agi par colère, par amour fraternel, par désir de vengeance, par indignation, pour se défendre. Il n'était peut-être pas obligé de blesser Malo, c'est vrai, mais Malo n'avait pas non plus à pousser la classe et la cour à nous huer, nous insulter, nous frapper et nous jeter crayons, gommes et règles en bois.
Aloïs n'a peut-être pas tort quand elle dit que si elle retourne au lycée, c'est par amour familial, parce-qu'elle n'en peut plus de tous les abrutis qui peuplent notre planète.
Alors j'attends désespérément un signe de vie.
J'espère sincèrement que personne ne s'est battu et que Jeff et Isaac vont bien...
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Le Carnet d'Aïcha
No Ficción«On ne peut pas peindre du blanc sur du blanc, ni du noir sur du noir. Chacun a besoin de l'autre pour se révéler.» proverbe africain «Qu'il soit juif, noir ou arabe, un type bien est un type bien et un enfoiré sera toujours un enfoiré.» Guy Bedos...