Ma très chère Mamie,
Comment vas-tu ? Ici, dans notre maison de (presque) toujours à Rennes, tout le monde se porte à merveille. Aloïs se marie dans quelques semaines avec son adorable Charlie, leur petit Milo est plus que pressé. Je l'ai revu il y a une bonne semaine, et c'est dingue comme mon neveu grandit vite ! Isaac enchaîne les petits boulots et déménage régulièrement, mais c'est un grand garçon maintenant et il s'en sortira toujours. (Il t'embrasse au passage !) Il n'a pas eu son bac mais compte se remettre à étudier, il veut décrocher un ou deux concours et diplômes afin de pouvoir se trouver un poste fixe et suffisamment rémunéré, pour qu'il puisse être tranquille un moment. Ahmed est vétérinaire en cabinet privé, tu te doutes donc évidemment qu'il a poussé son rattrapage scolaire plus que loin, qu'il est toujours aussi volontaire et déterminé, et qu'il gagne tout à fait correctement sa vie. Papa est un gendarme qui approche de la retraite mais qui fait toujours le bonheur et la satisfaction de ses supérieurs. Maman n'est plus femme de ménage, elle a fait une formation et travaille actuellement comme infirmière. Donc, tout le monde va très bien, tu t'en seras rendu compte...
Et moi, de mon côté... Et bien tout va encore une fois très bien, j'ai obtenu mon baccalauréat il y a deux ans et Jeff t'embrasse aussi. Il a bien grandi lui aussi, et sa petite et récente progéniture toute rousse est trop craquante. Sa fiancée, Louison, est formidable et nous sortons régulièrement tous les trois.
Si tu lis ces mots, c'est que tu as reçu ma lettre et mon colis. J'espère qu'ils n'ont pas trop tardé, toi tu n'as aucune attente puisque c'est une petite surprise, mais moi je suis vraiment pressée que mon cadeau arrive à destination...
Il y a peu de temps, en plein tri de mes vieilles affaires abandonnées dans des cartons au fond de ma petite chambre de notre maison rennaise, j'ai retrouvé plutôt par hasard mon petit journal intime. Comme tu le sais, je pars faire mes études à Nice dans trois semaines, il était donc temps d'entamer mon déménagement. Mon lit, quelques babioles, des vêtements, certains meubles, je voulais emporter avec moi des restes d'enfance ou des objets que j'aime particulièrement; qu'ils soient récents ou anciens; histoire que je me sente rapidement chez moi dans mon petit studio du Sud. Et c'est donc en me replongeant dans toutes ces caisses à souvenirs que je suis tombée sur mon Carnet...
Tu te souviens, Mamie ? J'avais dix ans quand je l'ai écrit; c'était l'époque du CM2, de l'insouciance, des dictées sans fautes, je n'étais presque plus une enfant. Et ces journées ensoleillées dans le jardin de la villa ? Avant que tu la vendes, c'était notre petit repère, là où on se réfugiait en cas d'averse soudaine pour passer des heures à lire et écrire... Tu me donnais tes conseils les plus precieux, tu me montrais tes talents de calligraphe experte; nous faisions aussi de la peinture, parfois un peu de musique... Tout ça me paraît si proche et si loin à la fois !
C'est fou, si tu savais comme tout m'est revenu si soudainement lorsque j'ai posé les yeux sur les premières pages de mon Carnet ! Oui, nous étions tellement complices, c'étaient de véritables moments intimes...
Et puis, au fil de ma lecture, je me suis souvenue que tu n'avais jamais lu mon journal en entier. J'ai pensé que ça te ferait plaisir de pouvoir achever enfin sa lecture et de replonger un peu dans les souvenirs, même près de dix ans plus tard, alors voilà, je te fais don de mon Carnet, j'espère sincèrement que tu pourras le recevoir avant la fin de la semaine, fais-moi signe quand tu le trouveras dans ta boîte aux lettres !
Et puis pour terminer, je dois t'avouer que mes interrogations passées de petite fille ont ressurgi en moi en même temps que tous ces souvenirs. Des tas de questions sans réponses, que j'avais enterrées au fond de ma mémoire mais qui ravivent à présent ma curiosité et ma soif de vérité... Je crois que j'ai trop longtemps voulu laisser ces tourments douloureux (à propos desquels personne n'a jamais voulu parler) dans l'oubli mais désormais ma volonté d'enfin connaître la vérité me paraît plus forte que tout. Je ne t'en dis pas plus, je crois que tu as bien compris, mais j'espère qu'on se verra bientôt, parce-que je veux tirer un trait sur ce passé plutôt mouvementé de manière définitive, et parce-que tu me manques terriblement...
Je t'embrasse bien fort, et j'espère te retrouver très prochainement, moi avec les diplômes que je vise en main, et toi avec la même envie (je le souhaite) de saupoudrer l'inconnu et le flou de lumière que celle qui m'a certainement poussée à t'écrire cette lettre ! Je te dis à bientôt, en te dédiant absolument tout le contenu du Carnet, en te remerciant d'avoir toujours été présente depuis tant d'années (je m'en aperçois encore plus aujourd'hui), et en t'adressant encore une dernière fois toutes les salutations de la famille !
Je t'aime,
Aïcha.
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Le Carnet d'Aïcha
Nonfiksi«On ne peut pas peindre du blanc sur du blanc, ni du noir sur du noir. Chacun a besoin de l'autre pour se révéler.» proverbe africain «Qu'il soit juif, noir ou arabe, un type bien est un type bien et un enfoiré sera toujours un enfoiré.» Guy Bedos...