Chapitre 10 : En cavale

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Je m'étais enfuie comme une voleuse sans aucune raison apparente. Une porte s'était ouverte, j'avais découvert mon pouvoir comme tant d'autres. Et nous nous retrouvions tous ici, à Jindard comme des pantins pour un jeu magistral. J'étais une meurtrière, un monstre, non acceptée par mes confrères. Si Iblis ne m'acceptait pas, que me restait-il au final ?

C'est en tentant de remettre mes idées en place que je déambulai en regardant mes pieds. J'hésitai entre laisser mon désir de liberté et d'être acceptée gagner. Mais lorsque je me rappelai la facilité avec laquelle il avait décimé ses ennemis durant ce jeu, j'avais du mal à voir mon Djinn comme un bon Djinn. Il fallait croire que nous étions assortis !

Mon pied s'écrasa sur une surface molle, et la minute suivant mes fesses touchèrent le sol. Après plusieurs minutes à marcher sans but, je relevai les yeux. J'étais entourée de créatures étranges. Et devant moi, un grognement sonore attira mes pensées. Une créature semblable à un dragon me regardait d'un œil mauvais. Il se tenait sur ses pattes arrière et tenait sa queue entre ses mains griffues et gigantesques. Son corps était couvert par quelques vêtements qui semblaient vouloir céder à tout moment sous ses écailles tranchantes.

Dans un grondement sonore, il lâcha sa queue et me donna la migraine par la même occasion. Insensible, je me relevai et essuyai la poussière sur mon arrière-train.

— Désolée, je ne savais pas que c'était ta queue !

Mon ton neutre ne m'avantageait pas. Pour ma défense, quelle idée de rester au milieu du passage et de laisser trainer au sol une partie sensible de son anatomie ?

Le monstre essaya de baragouiner quelques sons inaudibles et claqua sa mâchoire dans l'air, un filet de bave s'en échappant. Est-ce que toutes les créatures de ce monde étaient dotées de crocs aussi longs ? D'un côté entre mon humeur et sa constitution physique, j'étais tout de même la plus dangereuse. Et si je savais bien une chose de ce monde, c'était que les meurtres étaient bannis, ce qui me laissait une marge de manœuvre conséquente.

— Quoi ? grognai-je à mon tour. Je me suis déjà excusée !

Je me sentis soulevée dans les airs. L'homme dragon n'était pas en tort, il n'avait pas bougé d'un millimètre. Autour de moi, les commentaires surpris me laissèrent de marbre.

— Est-ce que la personne responsable pourrait me faire redescendre ?

Je croisai les bras sur mon torse dans un énième signe de refus contre tout ce qui se raccrochait à cette journée. Pour seule réponse, je fus projetée rapidement en hauteur, avant de redescendre en chute libre d'une vitesse hallucinante. Sans avoir eu le temps d'activer mon pouvoir, je me retrouvai dans deux bras puissants.

— Iblis arrête immédiatement tes conneries !

Mon cœur battait à tout rompre. Je détestais le vide, cette expérience laissait juste un goût amer dans ma bouche. Je relevai les yeux sur un homme qui portait une capuche. L'ombre m'empêchait de distinguer correctement les traits de son visage.

— Et tu n'es pas Iblis ! complétai-je toute seule comme une grande.

L'homme me déposa au sol avant d'enlever sa capuche. Sa peau caramel m'envoûta, mais ses yeux d'un doré intense me donnèrent un coup en plein dans l'estomac. Cet homme était un humain, et pas n'importe lequel, celui de Maxios.

— Comment as-tu deviné ?

Le métis parlait calmement, cependant ses yeux pétillaient de curiosité. Sa question était sincère.

— Iblis aurait réagi violemment devant tout le monde. Jamais il ne se serait caché derrière une capuche.

L'homme me sourit avec un grain de désolation comme s'il avait pitié de moi. Il n'était pas plus âgé que moi. Il devait avoir vingt-huit ans tout au plus, pourtant son aura me dictait une maturité impressionnante.

— Pourquoi m'as-tu aidé ?

— Que veux-tu dire par là ? répliqua-t-il immédiatement.

Je voulais lui dire que la rivalité entre Maxios et Iblis était évidente et que s'il était du côté de son Djinn, me laisser dans mes ennuis était la meilleure solution. Mais je ne pouvais pas quitter la seule personne qui savait comment rentrer chez moi. Contrairement à lui, j'étais bien loin d'être assez mature pour avoir réfléchi à comment rentrer sans Iblis et sans connaître personne. Je l'observai un moment, prenant mon temps pour le détailler. Ses cheveux étaient courts et frisés, sa peau matte faisait ressortir son regard d'or. Il était entrainé, sa musculature ressortait. Seule la cicatrice à la naissance de son cou pouvait illustrer qu'il n'était pas invincible. Il soupira, et le mouvement de son torse souleva son armure dorée.

— Je suis humain et j'ai été happé dans la même situation que toi il y a un an. Pourquoi est-ce que je ne t'aiderai pas ?

J'avais presque oublié que chaque humain avait dû passer par un temps d'adaptation. J'avais presque de la peine pour lui. Maxios n'avait pas l'air d'être le maître idéal et patient pour son apprentissage dans ce nouveau monde.

Je pris mes yeux de chiens battus et demandai de la voix la plus innocente possible :

— Dans ce cas, est-ce que tu pourrais m'aider à retrouver mon chemin jusque chez Iblis ?

Il se mordit la lèvre comme s'il voulait s'empêcher de rire. Loin d'en démordre, je continuai sur ma lancée :

— Je m'appelle Hel. Et toi ? lui lançai-je en tendant une main.

Il la prit sans hésiter et répondit :

— Sin.

L'humain dénommé Sin lâcha sa prise et avança dans une direction.

— Tu viens ?

Je le suivis avec peu de convictions. Dès qu'il se retourna pour me montrer la route, je repris une expression froide. La première fois que je l'avais vu, j'avais très bien compris qu'il savait qui j'étais avant de venir ici. Mon identité me mettait en danger, j'avais pas mal d'ennemis et je ne devais pas baisser ma garde.

Loin de prendre conscience de mon combat intérieur, il continua tranquillement de me guider à travers les rues sablées de rouge. La question me tiraillait la langue. Il s'arrêta une seconde et je percutai son dos.

— Si tu continues à foncer dans tout le monde, tu risques vraiment de te faire tuer ! me gronda-t-il.

Son ton m'interpella. Il me parlait comme à une enfant. Je n'étais pas une femme, une guerrière ou une tueuse à ses yeux, mais juste une gamine totalement paumée. Quelque part, il n'avait pas tort.

Cette fois, il me regardait comme s'il avait compris que je n'allais pas bien. Il soupira avant de passer sa main dans ses boucles. Il fit un pas en avant pour me prendre la main et tira pour m'inciter à continuer notre avancée.

— Les premières semaines sont dures, mais on s'habitue vite. La vie ici n'est pas plus compliquée que celle sur Terre.

Il inspira une seconde avant de continuer, le pas pressé.

— Je sais qui tu es, mais ici ton passé n'a aucune importance. Nous ne sommes plus des humains mais des habitants de Jindard. Si un seul être de notre espèce se dit meilleur que toi, c'est un excellent menteur.

Il avançait plus vite que moi, ne me laissant entrevoir que son dos. Les larmes menaçaient de couler. Depuis combien de temps ne m'avait-on pas sous-estimé ? Depuis combien de temps n'avais-je pas pleuré ? Butée, je m'empêchai de fléchir.

— Toi y compris ?

Il garda le silence sur le reste du trajet et ne répondit jamais à cette question. Son silence à lui seul était une réponse amplement suffisante. Je n'étais pas la seule personne à avoir perdue le contrôle face à son pouvoir. Sa main qui serra la mienne tout le long était réconfortante. Pour la première fois depuis deux ans, un homme ne me jugea pas.

OSTIUM - Jeu [PAUSE]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant