Chapitre 9 : Joue ou non avec moi

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Je ne pouvais pas dire que j'étais surprise d'avoir fini dans une situation improbable. En fait, si ! J'étais prête à assister à un de leur fameux jeu, installée dans le vide. Alors oui, si on remettait les éléments en place, Iblis m'avait emmené dans la Centrale, un stade gigantesque et forcément magique. Le territoire, la superficie et le nombre de places des spectateurs changeaient instantanément selon la nécessité. Et forcément comme Iblis était un joueur, j'avais une place de prédilection dans une bulle flottante juste au-dessus du Colisée.

Pour observer, c'était génial et effrayant à la fois. J'avais mal vécu ma dernière expérience dans le vide avec lui et je refusais de revivre une chute en plein air devant des milliers d'inconnus.

Je connaissais l'homme à mes côtés depuis moins de vingt-quatre heures, et j'avais déjà faux sur mes premières impressions à son égard. Je pensais qu'il allait me lancer une phrase sexiste ou perverse, ou se moquer de mon ignorance et de mon extase. Mais non, il observait avec détail le terrain sous nos pieds, depuis longtemps. Plus d'une demi heure en fait !

Sans crier gare, il souleva consciencieusement une main et joua avec ses doigts comme s'il tapait sur un clavier de piano invisible. Des murs s'élevèrent du sol pour former un labyrinthe compliqué. Iblis se mordillait la lèvre inférieure dans une concentration extrême.

Une plume bleutée atterrit sur mes cuisses. Je levai le regard sur la femme oiseau que j'avais rencontré brièvement à mon arrivée. Voltigeant au-dessus de nos têtes, elle pénétra la bulle que nous partagions et le plumage de ses bras se rétracta pour en devenir presque discret.

Elle secoua ses cheveux et contenta de cligner plusieurs fois des yeux en m'observant intensément.

— Mon nom est Vogel, je suis une gardienne d'Iblis.

Cette harpie était magnifique avec ses longs cheveux bleus et son regard d'or. Sa voix était mélodieuse comme si elle récitait une incantation.

Pendant un moment, j'hésitai entre mes deux prénoms et la façon donc je devais me présenter. Je finis par trancher :

— Je m'appelle Hel, j'étais humaine.

Vogel me regardait avec indifférence. Elle se concentra un instant sur Iblis avant de s'asseoir à mes côtés.

— Il va rester dans cet état un bon moment ! me prévint-elle. Si tu as des questions, pose les moi.

— Qu'est-ce qu'il fait ?

J'avais déballé cette question en même temps que son dernier mot. Un son qui ressemblait à un gloussement sortit du fond de sa gorge.

— Il met en place le jeu du labyrinthe. Iblis doit construire des murs en suivant plusieurs règles, le but est d'y placer un total de trois pièges et de compliquer les chemins à prendre. L'équipe adverse va devoir entrer dans sa création, y récupérer une pierre au centre et en ressortir le plus rapidement possible.

Je regardai Iblis, qui devait écouter notre conversation mais n'ajouta rien, trop concentré sur son œuvre.

— Tu y participes ? lui demandai-je.

Elle ferma les yeux longuement en penchant la tête en avant. C'était une affirmation. Du doigt, elle m'indiqua une partie du terrain avec des murs marron alors que ceux d'Iblis étaient rouges.

— Le Djinn adversaire construit actuellement mon parcours.

Une idée me traversa l'esprit.

— Tu y vas seule ? m'écriai-je.

Vogel frotta le dos de sa main sur son nez.

— C'est un trois contre trois. Je n'ai pas envie de mourir aujourd'hui ! répondit-elle naturellement.

J'avais la bouche ouverte. À quel genre de jeu étais-je en train d'assister ?

— C'est plutôt mes adversaires que je plains. Iblis n'est pas tendre avec ses ennemis, ajouta-t-elle.

Iblis sembla se réveiller de son long sommeil, et se mit à rire.

— Je serais surpris qu'ils survivent à cette épreuve !

Vogel le regarda tendrement. Je serrais les poings ! Sa vision de la vie m'horripilait. Sur le point de lui expliquer la vie, Vogel me prit la main et secoua la tête.

— Tu es prête ? débuta Iblis.

Arrêtant d'agir comme un enfant amusé d'arracher les ailes des insectes, il reprit une contenance humaine. Son regard paternel se posa sur elle, et j'y voyais de l'inquiétude. Comment pouvait-il changer de personnalité aussi facilement ?

Vogel ne répondit pas et se contenta de quitter la bulle en volant. Un trop-plein d'émotions contradictoires, je ne savais plus ce que je devais dire. Après tout, en ayant vécu dans un monde où l'on tuait pour un oui ou pour un non ; et où on laissait des millions de gens mourir de faim alors que l'on mangeait un kebab, en quoi pouvais-je critiquer ? En quoi pouvais-je le blâmer en étant moi-même une meurtrière ?

Les images des corps disloqués que j'avais laissés derrière moi assombrirent mon visage. Oui, je ne pouvais rien dire sur le fonctionnement d'un monde qui contenait violence et meurtres.

Le son d'un cor résonna et j'observais Vogel accompagnée de deux autres êtres se précipiter dans les couloirs étroits. Une femme-oiseau, une bête imposante noire qui semblait être faite de flammes et un homme à six bras tenant des lames tranchantes qui devait bien atteindre les deux mètres. L'équipe d'Iblis dégageait une confiance folle.

Je me concentrai sur l'autre équipe. Au moment où mon regard tomba sur eux, les murs bougèrent et des milliers de lucioles se précipitèrent dans leur direction. Il y avait des hurlements et différents cris : ceux du public qui s'extasiaient face à ce jeu et ceux des hommes dont les minuscules lumières traversaient leur corps. Deux créatures tombèrent au sol, inertes, leurs cadavres étaient striés de trous. La terreur se lisait sur le visage du dernier.

L'épreuve n'avait pas commencé depuis deux minutes que l'on pouvait décompter deux morts. J'étais incapable de détourner le regard du dernier participant, une femme dont le corps était recouvert d'écailles, qui avaient dû intercepter le choc. Elle s'élança dans les couloirs et arriva finalement au centre. Heureuse de voir une pierre devant elle, qui symbolisait la moitié du jeu, elle l'agrippa brusquement. Et le sol se déroba sous ses pieds.

Iblis avait éliminé ses adversaires avec une facilité certaine. J'étais bloquée sur la vision du trou que formait son labyrinthe rouge. Ses adversaires n'avaient eu aucune chance et il le savait.

— Qu'as-tu parié ? lançai-je.

Qu'est-ce qui pouvait bien valoir l'anéantissement de trois vies ?

— L'allégeance d'un Maritin. Il parie bien trop souvent pour des jeux qu'il va perdre d'avance et il dénombre beaucoup trop de morts.

— Pas toi peut-être ? répliquai-je froidement.

Il agrippa mon avant-bras et me tira si fortement que j'atterris sur ses genoux. Le noir de ses yeux semblait tournoyer comme des flammes ardentes. Il était terrifiant.

— Je n'ai jamais fait combattre un de mes gardiens sans leur approbation ! cracha-t-il.

— Donc si je refuse de me battre, tu ne diras rien ? continuai-je.

Je ne déviai pas le regard. Il ferma les yeux pour reprendre son calme.

— C'est ton choix !

Le cor sonna une deuxième fois. L'équipe d'Iblis était sortie indemne de l'arène. Ou presque. La bête noire avait une flèche logée dans son épaule. Il essayait de mordre l'arme pour la déloger, mais il ne faisait que déchirer l'air avec sa gueule. Vogel le regardait comme si elle ressentait sa douleur, et son deuxième partenaire rigolait de bon cœur et lui assenant une tape sur son épaule valide.

Une seconde plus tard, je me retrouvai téléportée avec Iblis sur le terrain. Il me lâcha avec colère avant d'aller vérifier l'épaule de son gardien bestial. La froideur dont faisait preuve Iblis à mon égard me fit perdre pied. Je me dirigeais vers la sortie d'un pas décidé.

OSTIUM - Jeu [PAUSE]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant