Chapitre II

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3 mai 1892

Ce beau matin de début de printemps, on aurait pu se croire sorti d'un cliché, jamais un début de journée ne correspondait autant à l'idée qu'on se fait généralement du printemps ! Mais rien ne semblait bien parti, pourtant. Ce soir, visite de prétendants pour les préliminaires avant mon mariage... Je devrais rester toute la soirée à me préparer, puis à sourire gentiment, en disant de tant à autre une petite phrase pour ne pas paraître trop simple d'esprit. Néanmoins, cette épreuve ne se déroulera que ce soir, ce qui me laisse tout le reste de la journée pour agir à ma guise !

Je pensais hier soir, avant de dormir tout à fait, à la façon dont je pourrais m'échapper de cette ambiance «sinistre» d'avant-bal qui me déprime totalement; j'en suis arrivée à la conclusion que le mieux serait de préparer un baluchon, un petit sac, un panier, de mettre un déjeuner et quelques biscuits dedans et de partir au-delà des collines autour de la maison, pour dessiner.

Je me lève, et vais jusqu'à la porte de la salle de bain attenante, où je prends un bain, avec peu d'eau (j'essaye d'en mettre le moins possible depuis que j'ai entendu un invité de mère parlé du gaspillage de l'eau en Angleterre, ça m'a beaucoup effrayée). Je m'essuie doucement avec les belles serviettes blanches qu'il y a devant la fenêtre. Les pauvres ne doivent pas avoir tout ça chez eux, non ? Je n'ai jamais vu des gens très pauvres, parce que père et mère ne veulent pas que je m'approche d'eux, ils disent qu'ils sont dangereux. Mais si je voyage un jour, j'en verrai sûrement, c'est obligé ! Je me demande si on peut être heureux tout en étant pauvre...

Je prends le petit sac-à-dos en cuir que je laisse toujours à côté de ma coiffeuse, et mets dedans, sans vraiment d'organisation, ce qui effraierait d'ailleurs la pauvre Mary, un plaid, un livre, mon matériel de peinture, et ma boîte à maquillage. C'est étrange d'emporter sa boîte à maquillage comme ça pour dessiner dans la lande, mais c'est devenu une habitude pour moi de la prendre partout où je vais. Je pourrais passer des minutes entières à regarder ses outils de maquillage, tout ce que ça représente, de se cacher avec des bâtons de couleurs, pour arriver à s'élever un peu dans la société, c'est étrange de penser que les femmes en utilise tous les jours !

Je devrais maintenant m'habiller, ce que je fais en essayant de trouver dans ma penderie la robe la moins encombrante. Finalement, je penche (comme toujours) pour les vêtements qui sont cachés dans une vieille malle sous les cartons à chapeaux. C'est là que je range tous les habits que jamais père et mère ne voudraient me voir porter : des robes très simples, «pour les gens du peuples», des châles grossiers, et de simples bottines en cuir. Il y a même des pulls !

Aujourd'hui, avec le vent qui souffle dehors, et il y en aura encore plus sur les landes, puisqu'elles sont à découvert, je préfère prendre une robe en flanelle vert olive, serrée à la taille, et un pull en laine noir. Je prends les bottines à la main, et prend un peigne en corne pour m'attacher les cheveux. Au dernier moment, je me retourne et prends mes chaussons de danse et les fourre aussi dans mon sac. Avant de partir, il faut que je prenne à déjeuner, donc je passe dans la cuisine pour récupérer quelque chose.

Le cuisiner, Willie, m'aime bien et je peut chiper un peu ce que je veux sans qu'il ne me dise rien, je prends donc deux pommes, une demie baguette de pain frais et un petit fromage de chèvre.

Une vie déjà tracéeOù les histoires vivent. Découvrez maintenant