J'enfile mes bottines en fourrant le tout dans mon baluchon, et commence à courir vers les petites collines qui sont dos à notre grande maison, en me retournant de temps en temps pour vérifier que personne ne me voit. Arrivée en aval de la colline que je viens de monter, je me laisse glisser, tachant de boue ma robe déjà sale de mes escapades passées. Je monte sur les bords du petit pont de pierre qui enjambe le maigre filet d'eau qui traverse la lande. Je saute sur la berge, mes jupons remontant jusqu'à mes épaules, la vitesse défaisant ma coiffure. Je m'asperge le visage avec l'eau de la rivière et me relève en regardant tout autour de moi. Une journée de plus, la lande est à moi ! Je n'en vois même pas la fin, il n'y a aucune maison, aucune construction et presque pas d'arbres. Que de la bruyère à perte de vue, des genêts et quelques rochers pointus qui semblent sortirent du sol. Je cours vers celui qui est le plus loin possible, et grimpent dessus, m'écorchant les doigts, les cheveux dans les yeux et le sourire au lèvres.
J'ai dessiné et peint toute la journée, je n'ai pas touché à mon livre, Moby Dick, qui m'ennuie comme je ne saurais l'expliquer. Aujourd'hui, je n'ai pas peint que des paysages comme je le fais d'habitude, en réalité j'ai surtout fais des portraits de personnes en mouvement, souvent des femmes. Elles ressemblent à ce que veux être, sauf une, une vieille mégère qui a les traits de mon visage dans trente ans. Je pense que je le garderai pour me rappeler que je ne veux pas finir comme ça !
J'ai failli être en retard, car quand j'ai regardé ma montre pour la première fois, il était 14 heures 25, alors j'ai tout remballé en vitesse (en faisant quand même attention de ne pas faire baver mon aquarelle) et j'ai couru jusqu'au manoir.
Je suis arrivée en sueur, jetant mon sac dans un coin de la chambre, celui dont Mary ne s'approche jamais, parce qu'il est à l'opposé de l'endroit où se trouve le linge sale, et je me suis dépêchée d'enfiler une robe présentable et de descendre, en essayant de calmer ma respiration, dans le petit salon, pour dire à mère que j'étais prête à me préparer pour le cocktail de ce soir; elle m'a dit qu'elle tenait à me préparer elle-même pour que tout soit parfait.
Elle se lève de son fauteuil en riant et s'approche de moi heureuse comme je ne l'ai jamais vue. Nous montons dans ma chambre où, heureusement, elle ne voit pas mon sac légèrement tâché de boue. Je m'assois devant la coiffeuse et mère commence par me brosser les cheveux, puis elle me les attache dans une coiffure si compliquée que même des gens très diplômés auraient du mal à la refaire ! Elle me maquille ensuite, et pour finir elle me fait enfiler la robe que Mary a apporté il y a quelques minutes. Pendant qu'elle va chercher la parure que je vais mettre ce soir, j'entends les gens qui s'affairent en bas et les invités qui commencent à arriver, comme un vague bourdonnement de ruche lointaine.
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Une vie déjà tracée
Historical FictionUne jeune fille; un manoir dans le Yorkshire, 1892. Son avenir se promet d'être radieux : elle est un excellent parti, et les prétendants sont plus riches les uns que les autres. Seulement, une destinée, ce n'est pas fait pour être écrit par vos par...