#25 Texte

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Sa langue se délia alors enfin, sous l'effet de l'alcool qu'elle avait ingurgité en masse, ses yeux brouillés cachés derrière les épaisses volutes de fumée qui s'envolaient déjà vers les étoiles.
« - Tu sais, c'est pas que je suis malheureuse. On pourrait même dire que ma vie ordinaire est passable. J'ai tout ce dont j'ai besoin. Une famille, quelques amis, je suis amoureuse. Mais cette vie banale ne me suffit pas. Le poids de cette vie si semblable à celle des autres, morne, monotone, ne parvient pas à me satisfaire. Cette vie est sans vie. J'aurais aimé avoir, comme dans les romans, une vie idéale, de princesse dans un château, ou encore même celle du chevalier qui viendrait la sauver. J'aurais même préféré être une héroïne de tragédie persécutée par son destin. J'aurais aimé avoir une vie extraordinaire. Une vie qui laisse un trace, dans celle, toute autant vide que la mienne, des autres gens. Qui se souviendra de moi, quand je ne serai plus la ? Qui pourra conter mes exploits s'il n'y en a même pas ? Que laisserai-je derrière moi, si ce n'est des cendres et des regrets ? Le regret d'être crevée sans avoir laissé ma touche dans l'histoire, en sachant que plus tard, aucun enfant ne lira mes exploits, personne ne regardera ma photo avec des étoiles dans les yeux, comme je l'ai fait tant de fois avec mes idoles. »
Rejetant sa tête en arrière, elle se mit à rire. Un rire triste qui ressemblait à un long gémissement entrecoupé de sanglots.
« - Ça peut paraître con, tellement con. Au final, nous ne sommes qu'un petit point parmi tant d'autres, coincés dans un univers trop vaste pour nous. Un univers que l'on ne comprend pas. Que sommes nous face à un trou noir ou une supernova, une géante rouge ou encore la Voie lactée ? Ce ciel qui si souvent m'écrase, me ratatine, à l'état de petite choses tremblante sous le déchaînement de sa furie, son unique œil noir sans lumière fixant le fond de mon âme. Que sommes nous face aux saisons qui passent, et qui balaient les jeux d'enfants, qui balaient les promesses et les sourires ? Que sommes nous même face au simple concept de mort, ce mot que nous avons nous même inventé, comment peut on faire tenir autant de souffrance en un seul mot si petit, qui semble presque innocent ? Que sommes nous face à l'abandon, l'oubli, le désespoir ? Que sommes nous face à ces sentiments qui nous rongent de l'intérieur, alors que l'on tente de sauver les apparences. Pourquoi est ce si douloureux, alors que notre corps ne prend pas un coup ? Pourquoi cela fait-il si mal de vivre ? Pourquoi le bonheur est il quelque chose d'éphémère, alors que le désespoir est si présent, envahissant tel un buisson de rose écorchant notre peau à vif ? Si vivre est si douloureux, je préfère encore mourir. »
Elle se mit à grelotter, serrant ses jambes contre sa poitrine, dans la chaleur de cette nuit d'été. Ses yeux rivés par la peur semblaient fous.
« - Je n'aime pas avoir mal. Je ne supporte pas la douleur. Je ne supporte pas ce vide qui m'écrase et m'aplatit. C'est si angoissant, si blessant. Alors comment faire, comment faut il faire lorsque la douleur ne s'en va pas ? Lorsque la douleur est à l'intérieur, au plus profond de nos entrailles. Cette douleur qui rugit, comme un lion affamé, se nourrissant d'angoisse et de tristesse. Comment faire pour l'apaiser sans me briser ? Je suis faible, si faible que les griffures de mon lion apparaissent la vue de tous. Je voudrais m'effondrer, m'écrouler sur le sol. Mais, même cela, je n'y arrive pas. Je voudrais bien, parfois. Tout laisser tomber, et ne plus jamais souffrir. Mais c'est impossible n'est ce pas ? On ne peut pas abandonner. Car la vie se finira toujours sur un "Game Over", peu importe nos choix, c'est un jeu auquel on ne gagne jamais. J'ai essayé tant de fois d'y accéder, j'ai tenté même tellement de fois de tricher, de mentir. De faire bonne figure, d'être comme les autres. Parce que c'est si blessant d'être différent des autres enfants qui courent. C'est si triste de voir les autres s'amuser lorsque toi tu les regardes du bord de la cour de récré. J'aurais tellement aimé les rejoindre, partager des souvenirs avec eux. Partager leurs joies et même leurs peines, comme le font les amis. Qui se souviendra de moi ? Qui sera la pour dire qui j'étais, ce que je faisais, ce que j'aimais ? Pourquoi est ce que l'on meurt ? Pourquoi ne peut on pas vivre éternellement ? La mort signifie l'oubli. Tôt ou tard, les gens finissent par t'oublier. Parce qu'un cadavre, ça n'est pas intéressant. Sauf si tu es aimé, apprécié par les gens qui t'entourent et au delà. Mais qui serait triste si je partais ? Qui me pleurerait à n'en avoir plus d'eau dans le corps ? Pourquoi doit on mourir un jour ? Pourquoi doit on être oublié ? Pourquoi est ce si dur ? »
Elle releva les yeux et aspira une tafe de sa cigarette. Elle toussota et finit sa bière d'une traite.
« - J'aurais aimé être différente des autres. Etres extraordinaire et avoir des pouvoirs au quotidien. Il y a eu un temps, il y a longtemps, où j'étais un phénomène. J'étais si jeune, si curieuse de tout, isolée dans mon monde d'innocence et de pureté, une bulle qui me protégeait de ce qui fait mal. Je ne dormais pas de la nuit, à essayer de résoudre les questions de l'univers, à tenter de compter les étoiles, a m'inventer des amis imaginaires. Je sautais dans les flaques en chantant à tue-tête. J'étais heureuse, tout simplement. Mais j'ai voulu changer. Être comme les autres. Être à la pointe de la mode. Avoir des amies, des amis, un petit ami. Cette part de couleur que j'avais en moi, je l'ai brisée. Elle me manque. Je veux retrouver mes couleurs. J'aimerais tant les retrouver, je me sens si seule sans elles. J'aimerais retrouver ma vie d'avant. Je voudrais être à nouveau un phénomène. »
Elle jeta sa cigarette dans le vide, avant de se lever, et partir sans un mot dans la nuit noire.

Cat, Sue et BellaOù les histoires vivent. Découvrez maintenant