Chapitre 14

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   Le port se dessinait doucement et se détachait fébrilement sur l'horizon. C'était l'aube, un mince filet de brouillard planait à la surface de l'eau. Arrivé à quelques centaines de mètres de la côte, le navire s'annonça en un grand son de cor. Une fois entré, le capitaine engagea le vaisseau dans une manœuvre compliquée. Il fit racler la coque du navire sur la pierre à plusieurs reprises. On amarra, on se stabilisa, et l'on put descendre. Merenïs se sentait toute engourdie, elle avait passé une nuit terrible. La houle n'avait fait qu'empêcher le sommeil. C'était aussi le cas d'Uliva, car ses yeux étaient cernés, ses cheveux blonds paraissaient gris et desséchés, il avait le pas traînant, et il ne parlait presque plus. Tous avaient une petite émotion de déception, à l'idée de rentrer à Hëleit Döm. On avait décidé qu'on passerait la nuit dans une auberge avant de partir le lendemain à l'aube.
"Rappelez vous, vous devez passer inaperçu.
- C'est sûr que 5 mages, 2 enfants, un Dizurt et les gardes royaux dans un port de pêche, il n'y a rien de plus discret ! Fit remarquer Dellah. Sermante durcit les traits de son visage."
Ils se dirigèrent vers un grand bâtiment en bois et torchis avec un toit en paille. Il y avait déjà une foule de pêcheurs qui s'activait à installer les filets dans leurs bateaux. La bonne ambiance et la symbiose semblaient régnaient sur l'atmosphère du village portuaire. Ils pénétrèrent dans le bâtiment, et ils furent aussitôt plongés dans le vacarme de rigolades, de chants, de contage de récits, et de bagarres. Un homme derrière le comptoir s'affairait à remplir de grandes chopes de bière. Sermante s'adressa à lui.
"Bonjour, nous cherchons moi et mes camarades de quoi nous restaurer et passer la nuit.
- Bien camarade ! Répondit il. Sermante parut choqué par la familiarité. Ma femme vous préparera une chambre dans l'après midi.
- Je vous remercie.
- Puis je vous d'mander vot' nom ? Un frisson parcourut le visage de Soïko. Faut que je l'note sur mon registre.
- Bien-sûr ! Je me nomme Balja Meinek. B-a-l-j-a M-e-i-n-e-k.
- Un prénom bien étranger, d'où venez vous?
- De Hëleit Döm, j'y suis né, pourquoi cette question ?
- Veuillez m'excuser, mais en c'moment nous f'sons attention à tout le monde. Répondit il d'un air gêné.
- C'est tout à fait compréhensible. L'aubergiste semblait vouloir dire quelque chose.
- C'est que... Commença-t-il. Des gens peu r'commandables traînent ici. Une lueur brillait dans les yeux gris pâles de Sermante.
- Des gens peu recommandables? Ici ?
- Ben oui! Qu'voulez vous, sait jamais trop à quoi s'attendre maint'nant.
- Qui étaient ces personnes ? Demanda Sermante. L'aubergiste fronça les sourcils.
- Vous êtes bien curieux, ma parole ! Mais puisque vous y tenez tant, il y a de ça une semaine, de drôles de types sont v'nus à mon auberge, et qu'ont d'mandé la nuit. Et bah, j'leur ai donné une chamb', mais y z'ont même pas dormi ! Y sont fait que fouiller mon auberge de fond en comble pour j'en sais pas quelle raison, et l'ont mise dans un d'ces états !
- À quoi ressemblaient ils ?
- Ben! Y s'étaient tous enveloppés dans des grandes cap' noires, qu'on pouvait pas voir leu' visage. Y z'ont commandé une chambre, on leu' a donné. Y s'sont contentés d'fouiller l'auberge, tous les papiers, sans d'ssus d'ssous ! Et pi finalement y z'ont fini par embarquer sur le bâteau du vieux pêcheur unijambiste, et ont les a pu' r'vus ! Sermante parut comme illuminé.
- Savez vous où est ce que je peux trouver ce vieux pêcheur ?
- Ben sûr ! L'a une vieille cabane à la sortie du port. Répondit il intrigué."
Sermante fit un signe de tête qui chez lui voulait dire "je vous remercie", et il se retira à grands pas et sortit dans l'air frais du matin. Ils remercièrent l'aubergiste et suivirent Sermante. Celui ci se dirigea vers les petites cabanes des pêcheurs qui longeaient les quais. Ces petites bicoques abritaient l'équipage nécessaire aux marins, toutes sortes de cordes, poulies, et filets. La dernière de ces petits abris semblaient avoir été construite par un fou. Des planches étaient montées sans endroit ni envers. En guise de toit, une toile de bateau avait été tendue et accrochée sur des poteaux. Pour la porta un morceau métal gondolé était planté dans le sol. Une puanteur abominable entourait les lieux dans un rayon de trente mètres. Sermante était déjà arrivé à la petite porte. Quand ses compagnons l'eurent rejoint, la porte était fermée et aucun bruit ne se faisaient entendre à l'intérieur. Une grande déception pouvait se lire sur le visage du vieux mage.
"Je pensais que ce vieux pêcheur pourrait nous renseigner sur les mystérieux hommes de l'auberge.
- Vous pensez que ce sont nos agresseurs ? Demanda Uliva. Il paraissait se sentir concerné.
- J'en suis presque sûr. Nous reviendrons plus tard, je veux en avoir le cœur net.
- Bonne idée. Approuva Dellah."
Soïko suggéra qu'une petite balade sur la plage ferait du bien à Mereïn et Merenïs. Il était vrai que le bateau ne leur avait pas tellement dégourdi les jambes. Tout le monde se rendit donc sur la plage, à part Dellah et Sermante qui se rendait en ville pour trouver ce fameux pêcheur unijambiste.

Les eaux froides lui glaçaient le sang, et ses veines tournèrent au violet. Les flots étaient déchaînés, une houle infernale nappait la surface de l'eau d'une légère écume blanche. Mereïn n'avait pas froid, lui, il n'arrêtait de passer par dessus et dessous des vagues. L'eau avait toujours été son élément naturel. Merenïs ne l'appréciait pas plus que ça, même si aujourd'hui Soïko l'avait convaincue d'au moins se tremper les pieds. Le ciel était gris et un amoncellement de nuages épais menaçait d'éclater. Mereïn s'approcha d'elle. Ses cheveux noirs de jais lui collaient le front.
"Viens donc de baigner ! Regarde ces vagues, ne sont elles pas magnifiques ?
- Non, l'eau est glaciale ! Je fais déjà de grands efforts pour rester ici, ne me pousse pas à bout ! Répondit elle.
- D'accord, D'accord. Convint il en retournant se baigner. "
Merenïs attrapa une poignée de sable fin, et le contempla pendu qu'il coulait lentement entre ses doigts. Mais son attention fut soudain attirée par une étrange lumière qui provenait de l'eau. Une légère tâche qui se déplaçait vers son frère qui ne parut pas s'en apercevoir. Soudain, une créature immense jaillit de l'eau et se jeta à l'assaut de l'un des gardes qui se baignait en compagnie de Mereïn. Celui ci se dépêcha de courrir hors de l'eau, mais son pied fut happé par une tentacule du monstre. Aussitôt tout le monde se jeta dans l'eau en direction du monstre. Uliva envoya une de ses lames sur cette étrange créature mais elle la transperça comme si elle fut faite de boue. Merenïs eut le temps d'apercevoir Soïko entraîné par un des longs bras de la bête et rejeté vers le rivage. Le monstre leva là tentacule dans laquelle elle serrait le garde et le lâcha dans un orifice qui semblait être sa bouche. Un des mages jeta un éclair aveuglant sur la bête, ce qui eut pour effet de l'énerver encore plus. Bientôt toutes ses tentacules tournoyaient dans les airs et menaçaient à tout moment d'attraper une nouvelle proie. La chose resserra son étreinte sur Mereïn et commença à le porter vers sa bouche. En une fraction de secondes, un cri perça les oreilles de Merenïs et étourdi la créature marine. Celle ci semblait se liquéfier, car ses nombreuses tentacules cessèrent tout mouvement. Ce ne fut bientôt plus qu'une masse informe de chair flasque et odorante. Un autre être jaillit à son tour de l'eau, mais celui ci ressemblait plus à une sirène. C'était un homme d'une taille immense, avec une barbe et des cheveux blancs. Son corps imposant était suivi de trois longues queues de poisson. Uliva et tous les autres mages s'inclinèrent bien bas vers cet homme étrange.
Merenïs venait de vivre des plus étrange et pourtant elle ne s'était pas levé et n'avait pas bougé d'un poil, elle n'avait que regardé la scène. Elle se leva et courrir rejoindre son frère qui était toujours pris dans une des tentacules. Le froid de l'eau ne l'atteignit plus et elle se jeta sur la dépouille de la bête. Mereïn était évanoui, mais un peu d'eu sur le visage suffit à le réveiller. Sa sœur l'aida à se glisser au dehors du grand bras mou. Ils se relevèrent et lorsqu'ils se retournèrent, le vieil homme les regardait en souriant. Il n'était pas tout à fait humain, à vrai dire, car sa peau ressemblait plus à des écailles et ses bras et mains étaient palmés. Il souriait avec animosité, mais les enfants ne surent que faire en retour.
"Mereïn, Merenïs, prosternez vous devant Leviak, divinité du Soleil. Leur ordonna Uliva."

Les deux enfants s'inclinèrent bien bas, et n'osaient plus relever la tête. C'était naturellement la première fois qu'il croisaient une divinité. Seul une poignée d'homme sur ce monde en avaient rencontré. Leur réaction parut étonner le dieu.
"Mais relevez vous donc, vous n'allez pas passer votre journée les cheveux traînants dans le sable ! Leur dit il en rigolant. Les deux enfants se redressèrent, assez apeurés. Je ne vais pas vous manger, ne vous inquiétez pas ! Et bien, vous avez eu de la chance que je fus là ! Ce calamar était de taille ! J'en ai rarement vu d'aussi gros, à part des krakens sur bien-sûr ! Merenïs songea qu'il mentait, car les krakens étaient des légendes pour enfants.
- Merci d'être intervenu, Leviak. Le remercia Uliva. Mereïn et sa sœur s'étonnèrent d'une telle familiarité. Tout va bien Mereïn ?
- Oui, je crois. Je suis un peu étourdi mais ça va aller.
- Il faudrait mieux enlever cette vieille carcasse d'ici, si on ne veut pas que tout le village accourt.... Conseilla Leviak.
- Supposons que ce monstre pèse plusieurs tonnes, je pense que mes pouvoirs ne suffisent pas... Pensa Soïko à haute voix.
- Je m'en occupe. Reprit Leviak.
Dès qu'il eut prononcé ses mots, qu un fort courant emporta la carcasse dans l'eau et la houle. Je dois à présent, je ne dois pas être vu en présence d'humains. Je suis ravi d'avoir fait votre connaissance, jeunes gens. Dit il à l'adresse de Mereïn et Merenïs. Et il se retourna et plongea dans un bouillon d'écume et de sel. Personne n'osait parler. Seul Uliva, qui paraissait un peu mieux souriait. C'était inhabituel.
"Il est adorable, n'est il pas ? Disait il d'un ton léger, comme si il parlait d'un enfant.
- N'as tu pas honte de parler ainsi d'un dieu ? L'interpella Soïko. Ce n'est pas ton camarade !
- Je ne pense pas qu'il m'en tiendrait rigueur... Nous nous connaissons depuis tellement longtemps!
Merenïs ne posa pas de questions, Uliva n'aimait pas les questions...
- Je suppose que personne ne veut retourner se baigner je suppose ?"

Les roses noiresOù les histoires vivent. Découvrez maintenant