Je les maudis tous, avec leurs grandes leçons.

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Aujourd'hui, en cours de français, ma bulle de bonheur a disparu. Celle que je protégeais précieusement et renforçais depuis mercredi soir, depuis ce spectacle, cette sortie, depuis les mélodies au violon jouées par un de mes meilleurs amis, les premières sur scène, faisant écho à tous nos moments, toutes nos répétitions, celle que je renfermais comme les autres, celle qui contenait mes proches, mes passions, celle dans laquelle je me réfugiais simplement en entrelaçant mes doigts à ceux de mon frère de coeur pour ne pas paniquer. On parlait de projets d'avenir, j'étais un peu anxieuse, alors j'ai glissé ma main dans la sienne, mais pour une raison que j'ignore, cette fois, la professeure ne l'a pas accepté, alors qu'aujourd'hui davantage qu'un autre jour j'en avais besoin. Elle nous a séparés. Elle m'a forcé à rester seule. Alors j'ai repris mon stylo et j'ai continué d'écrire sur mon cahier, que je traîne partout, baissant la tête pour cacher mes larmes contenues et ma faiblesse. Tout plutôt que m'effondrer, plutôt mourir que de pleurer devant elle. L'espace d'un instant, ma bulle de bonheur a disparu, plus d'une heure en réalité, et ça me déchirait le coeur. Elle ne comprend pas, elle ne comprend rien et elle ne comprendra jamais, mais elle se permet de juger, elle se permet de jouer l'intruse dans quelque chose qui ne la concerne pas et ne la concernera jamais. Ça me tue.

Lâchez-vous.

Elle ne sait rien, de lui, de moi, de qui on est hors des cours, de ce qu'on peut être l'un pour l'autre, de nos passés, de nos angoisses. Elle ne voit rien d'autre qu'un garçon silencieux, souvent absent, plutôt effacé mais volontaire en cours, ce garçon avec de bonnes notes. Elle ne voit rien d'autre qu'une fille discrète, la meilleure élève, la plus jeune de deux ans, très proche de son ami, trop sans doute, un peu trop timide pour parler et répondre aux questions qu'elle pose, cette fille qui écrit, la petite fille modèle. On est quoi, pour elle ? Des moyens de s'octroyer un peu de satisfaction personnelle quand elle verra nos notes au BAC, parce que, je cite, elle ne veut rien de moins qu'un dix-sept pour lui et un vingt pour moi ? Ça me tue. Elle ne sait pas à quel point celle qu'elle voit tous les jours est un mensonge. Je ne suis plus cette petite fille modèle depuis bien longtemps, même si j'en conserve les apparences, fragment du passé duquel je ne peux pas totalement me détacher : ça m'évite les ennuis, et bien camouflée derrière, personne ne sait qui je suis, hormis mes meilleurs amis. Je refuse de leur montrer, à tous les autres. Moins nombreux ils seront à le savoir, mieux je serai protégée, moins on pourra me briser. Alors je camoufle bien ma tristesse, ma douleur, mon angoisse, ma colère et ma haine. A cet instant précis, je les déteste tous, mais je garde la tête baissée, et quand je dois absolument la relever, mon regard se fait calme, froid, posé. C'est plus simple. Un sourire, vite esquissé, plus vite que les dessins de mon amie et voisine de table à la pointe de ses crayons, un sourire qui serait si facile à gommer mais que je montre quand même. Regardez comme je fais bien semblant. Comme d'habitude.

Vous n'avez connu aucune épreuve.

Je me force à ne pas réagir, je continue d'écrire. Une main serrée sur le stylo, l'autre crispée sur la page, l'encre bleue coule. Les images sont jolies, les mots m'apaisent. Quand vraiment ça ne va pas, il me reste le dessin de mon amie, fait un jour où mon meilleur ami n'était pas là, pour me remonter le moral en l'absence de mes anges : Immortal Paradise. Des personnages représentant mes amis, et une dédicace qui me rassure un peu aujourd'hui, comme un défi à ce que peut dire la professeure, un petit mot venant du coeur de la part d'une fille réellement adorable, qui a compris que livres, musique, films, séries, dessin, écriture et famille formaient mon petit monde. Un endroit qui renferme ce que l'on a de plus précieux, en sécurité pour toujours. Personne ne me volera les bulles de bonheur qui se sont retrouvées dans ma tête une fois le danger passé, personne, parce que j'ai promis de les protéger. Se battre contre les larmes qui envahissent mes yeux, qui piquent mes prunelles et menacent de couler, avec pour seul objectif de ne pas pleurer, pas maintenant. Plus tard, quand je serai seule, ou juste avec lui, j'en aurai le droit, je pourrai montrer mes faiblesses et surtout celle-ci. Autrement... Je me force à ne pas réagir, je continue d'écrire. Les phrases des autres passent, tandis qu'ils discutent avec celle que j'apprécie d'ordinaire mais qui aujourd'hui devient la raison de mes larmes et emplit tout mon être de colère, celle à qui j'aimerais arracher son sourire. À cet instant, ça peut paraître égoïste, mais j'aimerais qu'elle ressente, seule, ce que je peux ressentir. Souffrir seule, c'est difficile. Mais je ne dis rien, je continue de recopier un de mes textes, je me représente en pensées le visage d'une autre personne qui compte infiniment à mes yeux, et qui a sa place dans mon coeur : mon garçon au violon, mon ami et mon Ange de Musique. Peu à peu, m'imaginer ses traits, son sourire, nos discussions et nos moments à l'orchestre ou tous les deux à jouer me calme, mais une autre phrase vient semer la tempête sur la mer de mes sentiments, à nouveau, en une autre vague d'impuissance, de tristesse et de peur. J'ai peur de ce qu'ils disent, je le pense bien trop souvent, je n'ai pas besoin d'eux pour le formuler, pour ajouter encore à mon angoisse. Je les déteste...

Nuit étoilée de la connerieOù les histoires vivent. Découvrez maintenant