Cette nuit, je suis restée éveillée jusqu'à une heure du matin afin de voir les résultats de ces élections, regardant avec angoisse puis horreur les grands électeurs gagnés par chaque candidat. Et depuis une heure du matin, je suis dans le déni, la première phase du deuil. Car oui, aujourd'hui au lycée, tout le monde semblait en deuil. De nombreuses personnes en couleurs sombres, mon professeur sérieuse, et tous mes camarades discutant de cette nouvelle qui vient de nous tomber dessus. En cours d'histoire, nous en avons parlé, et la voix d'une des élèves de la classe s'est brisée. Elle avait les larmes aux yeux... Dans une classe de première Littéraire, majoritairement féminine et composée de noirs, de métisses, cette nouvelle sonnait comme une bombe qui venait d'éclater en nous blessant de mille éclats. Trump président...
Oui, aujourd'hui, nous étions véritablement en deuil au lycée. Le deuil d'une culture, d'un pays, d'avancées certaines qui désormais semblaient réduites à néant. Le deuil d'un pays qui nous a faits rêver. Le deuil d'un pays où certains voulaient aller étudier. Le deuil des Etats-Unis tels que nous les connaissions. Et dans nos têtes, toutes les horreurs proférées par cet homme, et son projet de mur à la frontière mexicaine. Jamais la classe n'avait été aussi silencieuse. Mais nous ne sommes pas américains, et malgré le choc, nous n'étions pas autant concernés, même si l'image sinistre planait au-dessus de nous tous, ce pays ayant une incontestable importance dans le monde d'aujourd'hui. Quelques plaisanteries sarcastiques ou amères, quelques rires qui sonnaient faux. Jusqu'à la salle d'anglais.
Notre professeur était elle aussi sérieuse, mais ce n'est pas ce qui m'a marquée, tandis que l'on s'asseyait et que l'on sortait nos affaires, les rideaux tirés plongeant la salle dans la pénombre, que seuls éclairaient quelques rayons de soleil. Puis le silence. Non, ce qui m'a marquée, c'était le regard de notre assistante d'anglais, une jeune américaine de vingt-deux ans. Si triste, ce regard. Deux prunelles bleues, entourées de rouge à cause de larmes qu'elle avait du pleurer. Disparu le sourire qu'elle arborait toujours, tandis qu'elle commençait à en discuter avec nous, d'une voix qui trahissait sa peine, parfois à peine audible, fine silhouette pâle vêtue de sombre, ses longs cheveux blonds tombant dans son dos. Elle n'était pas elle-même, pas la jeune femme rayon de soleil que nous avions accueillie quelques semaines auparavant.
Ce n'est qu'à ce moment, je crois, que j'ai complètement pris conscience de ce qui se produisait, pour elle et des millions d'américains, des centaines voulant fuir vers le Canada. Trump président. Tous mes camarades ont compris, et pour une fois, peu importaient les désaccords, nous étions tous calmes, doux, et attentifs. Attentifs à ne pas la blesser, elle qui semblait si fragile. Jamais silence n'a paru aussi pesant, je crois, que celui des quelques secondes qu'elle a mises à lancer une vidéo. Mais quand tous regardaient l'image projetée, mon regard se tournait à l'opposé, vers elle. Elle l'a croisé, a esquissé un sourire peiné. Un sourire faux qui n'a leurré personne...
Quand je l'ai vue et que nos regard se sont croisés, j'ai réalisé qu'à la fin de l'année elle retournait dans son pays pour y retrouver un président mysogine, intolérant et parfaitement horrible. Elle a failli se mettre à pleurer, et moi, j'avais la gorge nouée. Qu'est ce que je suis sensée dire à une jeune femme dont le chef d'Etat fait des remarques sexistes, vulgaires et blessantes ? A une jeune femme déçue de ses propres concitoyens ? La cloche a sonné, et nous sommes tous sortis en silence, moi la dernière, avant qu'elle ne nous suive. A ce moment-là, j'ai eu envie de la serrer dans mes bras et de lui dire à quel point j'étais désolée, mais je ne la connaissais pas assez...
Alors je lui ai seulement murmuré :« You looked really sad. » Tu avais l'air vraiment triste.
« I am. » a-t-elle répondu, à peine audible. « I'm shocked. » Je le suis. Je suis choquée.
« We're not even American and still we feel concerned... I can't imagine how it must be. »
Nous ne sommes pas Américains et nous nous sentons concernés... Je ne peux pas imaginer comment ce doit être.
« Hard to believe... Didn't think it'd be possible. » Dur à croire... Je ne pensais pas que ce serait possible.Je n'ai pas su quoi lui dire, à cet instant. Son visage était pâle, et elle m'a esquissé un autre sourire peiné, comme pour dire "C'est comme ça, rien ni personne ne peut s'y opposer, nous verrons..." Ce sourire, ce faux sourire, m'a fait mal, contrastant douloureusement avec sa gaieté habituelle en une pantomime grotesque de joie, grimace si triste... J'avais un autre cours, mais je n'y suis pas allée tout de suite. J'ai soufflé :
« I think we all missed your smile today... » Je crois que ton sourire nous a manqué à tous aujourd'hui...
Et l'espace d'une seconde, elle m'a souri en me remerciant. Son vrai sourire, une expression vive et joyeuse, spontanée, pétillante, rayonnante. Puis nous nous sommes séparées, et avec un ami, nous nous sommes dirigés vers la prochaine classe. Elle, elle s'est engouffrée dans une autre salle et bientôt, le couloir était désert.
Trump, ainsi, tu deviens président...Un président qui divisait avant même l'élection le peuple et son propre parti.
Un président mérite un certain respect, je présume ? Mais pourquoi ?
Pour un homme qui insulte ouvertement les femmes, les noirs, les musulmans, les mexicains, et s'oppose aux homosexuels ?
Pour un homme mysogine, raciste, homophobe et xénophobe ?
Pour un homme incapable de faire l'unanimité dans son propre parti, déchirant son pays ?
Pour un homme se croyant supérieur à tout autre grâce à son argent ?
Pour un homme qui provoque un mouvement de masse - une fuite - de ses concitoyens vers le Canada, à tel point que celui-ci a du momentanément fermer l'immigration ?
Pour un homme qui fait pleurer une jeune femme comme tant d'autres gens, une jeune femme vive, lumineuse et heureuse, parce que celle-ci réalise que le pays qu'elle aime, son pays, laissé un moment derrière elle, va changer, et que certaines choses ne seront plus pareilles désormais ?J'ai une pensée pour les homosexuels, les noirs, les mexicains, les musulmans, pour tous ceux que ce résultat atteint. J'ai une pensée pour les Américains qui verront leur pays changer contre leur volonté, et une pensée pour le monde dont le rêve commence à se briser. <3
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Nuit étoilée de la connerie
Kurgu OlmayanIl était une fois, dans une galaxie lointaine, très lointaine... Deux elfes, étendus côte à côte dans l'herbe tendre leur faisant comme un lit. Tous deux observaient les étoiles, et riaient doucement, quand quelque chose qu'ils n'auraient jamais pu...