Solidarité bien ordonnée commence par soi-même - 4 -

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Destuiz avait très mal dormi. La peur d'échouer, de ne jamais revoir son monde natal, lui avait interdit l'accès aux portes du sommeil. Il se leva de bonne heure et décida qu'il en finirait le jour même avec la tâche qui l'avait amené jusqu'ici. Il descendit au salon et déjeuna d'un buffet de fruits exotiques et d'œufs brouillés agrémentés de saucisses de synthèse. Puis il enfonça sa magnifique casquette de Commandeur sur son crâne, seul élément conservé de son costume de départ, et sortit sur la passerelle. Il profita un instant des rayons du soleil matinal, puis commanda un taxi. Il lui fallait à tout prix un nouveau personateur. Pour cela, il serait contraint d'utiliser l'un des jetons de la banque Omnirace. Il ne lui en resterait que deux pour acheter le matériel électronique du bouclier.

– Où allons-nous, Majoral ? questionna le chauffeur, un gros gars à moitié chauve dont le visage replet n'inspirait pas confiance.

Destuiz prit un air assuré.

– Tour commerciale de J&M Electronique, je suis pressé.

Le taxi le déposa à l'endroit requis et Destuiz régla la course. Il entra dans la tour où se côtoyaient des centaines de magasins d'électronique, en apparence similaires. Après un rapide tour des vitrines, il entra dans l'une des boutiques. Le vendeur lui parla d'abord en Tassanarien, avant de comprendre que Destuiz n'était pas du coin. Il lui fit alors un grand sourire, découvrant une rangée de dents jaunes. Rajustant son costume, il passa une main dans sa touffe de cheveux bruns et fixa ses yeux bleus sur son client.

– Combien, ce personateur ? demanda Destuiz en indiquant un appareil dans la vitrine derrière le vendeur.

L'homme sortit le modèle et le posa contre le comptoir ; l'étiquette bien en vue indiquait 1.550.000 écus.

– Pour vous, dit-il en Unidiome, seulement un million.

Il inscrivit les chiffres sur un bout de papier, comme si Destuiz n'avait pas compris l'Unidiome.

– Très bon modèle, un choix judicieux. C'est le dernier que nous ayons reçu : ils partent comme des petits pains.

– Est-ce qu'on peut effectuer des transactions avec, trouver son chemin et...

– Bien sûr, bien sûr ! Vous pouvez visionner des films virtuels, faire des jeux interactifs, correspondre par réseau interposé, entrer dans les matrices informatiques, etc...

Destuiz parut hésiter.

– Et ce modèle-là, dit-il en indiquant un autre appareil dans la vitrine.

– Oh, bien plus cher.

– Qu'est-ce qu'il a de plus ?

– La marque.

– Bon, je prends celui-ci, fit-il en mettant le doigt sur le premier.

– Bien. D'où venez-vous, j'ai cru entendre un accent qui m'est familier ?

– De Venturi.

- Ah oui ? Vraiment, drôle de coïncidence ! Ma femme est née là-bas !

Le vendeur se dirigea vers sa caisse et imprima la note. Tandis que l'imprimante déroulait le ruban, il se pencha pour souffler une question à voix basse à son terminal.

– Ah bon ? D'où est-elle ? demanda Destuiz, intrigué.

– De Granistage, répondit le vendeur après un rapide coup d'œil à son écran.

– Oh ! C'est une ville merveilleuse, s'enthousiasma Destuiz.

Rencontrer un compatriote était vraiment un hasard incroyable, mais si agréable dans une ville telle que Tassanarive. Il regarda la note.

– Un million sept cent mille ? Ça n'est pas ce que vous m'avez dit tout à l'heure, s'indigna-t-il.

Le vendeur reprit la note, qu'il détailla.

– Ça, c'est l'appareil : un million; ça c'est le transcodeur pour Venturi : 50.000E; ça c'est le raccord casque : 150.000E; voilà le raccord matriciel : 300.000E; et l'unité virtuelle : 200.000E.

– Je ne payerai pas une telle somme !

Le vendeur raya le prix du transcodeur.

– Voilà, gratuit, pour vous, fit-il avec un sourire de réconciliation.

– Certainement pas, je ne payerai pas plus d'un million d'écus pour cette machine !

– Bon, voilà, le casque gratuit, 1.500.000E !

Destuiz fit mine de partir. Le vendeur le rattrapa par-dessus le comptoir.

– Aah, vous êtes dur en affaires, dit-il d'un air chagriné mais résolu. Un million deux cent mille.

Et il lui mit l'appareil dans la main. Destuiz hésita. Finalement, il sortit le jeton de sa poche. Le vendeur écarquilla les yeux.

– Dix millions d'écus de la banque Omnirace !

– Ne vous leurrez pas. Je représente la défense planétaire de Venturi. Cet argent appartient à mes compatriotes.

La machine encaissa et rendit la monnaie en carte de crédit. Destuiz quitta la boutique satisfait de son achat.

En marchandant un peu, et en expliquant la situation de Venturi, les vendeurs me feront certainement un rabais sur les pièces du bouclier, songeait-il bien naïvement, en parcourant la passerelle vers le fournisseur indiqué par son nouveau personateur.

Arrivé à la boutique, il vérifia sa sacoche afin de s'assurer de la présence du jeton suivant. La sacoche avait disparu ! Il sentit un frisson glacial lui parcourir l'échine, ses cheveux se dresser sur sa tête, tandis que son cœur semblait s'arrêter de battre. Le sang afflua dans ses tempes alors que son cerveau tentait désespérément de retracer son itinéraire afin de localiser l'endroit et le moment de la perte. Après quelques instants de recherche affolée, il en conclut avec effroi qu'il l'avait oubliée dans le taxi. Heureusement, songea-t-il, un jeton de la banque Omnirace ne pouvait être dépensé que par son possesseur légal, enregistré sur Terre.

Une longue nuit stellaireOù les histoires vivent. Découvrez maintenant