Là où les hommes baissent les bras - 3 -

24 11 3
                                    

 Sa cape claquait dans le vent de la passerelle qui menait à l'appareil. Sur le tapis roulant, Destuiz avançait d'un pas rapide, la valise contenant les trois modèles TN90-Stratelec dans la main. Il jeta un dernier coup d'œil à la ville derrière lui. Très chère Talwène. Quel dommage que les circonstances nous aient séparés si tôt. Dès que Venturi sera à nouveau à l'abri, je parcourrai la galaxie et je vous retrouverai. À travers la verrière, il aperçut le courrier qui devait l'emmener chez lui. Une longue et fine sculpture d'acier, petite merveille de technologie dont l'enveloppe jetait des éclairs dans les reflets du soleil. Il pénétra dans le sas et fut accueilli par le co-pilote Pundergast.

– Salut Majoral.

Destuiz ne lui adressa pas un regard. Il était lassé de cette planète et de ses petits rigolos qui se prenaient pour le nombril de l'univers.

– Alors, on retourne à la ferme ? ajouta le co-pilote, en crachant sa chique par terre.

C'était un homme de taille moyenne, trapu, avec une casquette posée de travers sur un crâne oblong. Ses petits yeux et son nez en patate ne lui conféraient pas un aspect très héroïque. Destuiz l'ignora.

Le commandant de bord était un homme grand, plutôt efféminé, avec un costume de pirate du plus mauvais effet. Il avait les cheveux plaqués sur la tête à la gomina et un tricorne fuchsia décoré de dentelle rose posé sur le crâne. Une ridicule tête de mort argentée brillait sur le revers de sa veste. Un pin's lumineux, songea Destuiz. Les yeux de la broche s'allumaient et s'éteignaient alternativement.

– Bienvenue à bord de mon Prince des Enfers ! fit-il avec un petit signe de la main vers une représentation holographique d'un démon flamboyant qui dansait dans le cockpit.

Le comble du kitsch galactique. Dans quel nouveau merdier Angelis m'a-t-il fourré ?

– Je vais vous conduire à votre cabine et vous faire visiter les lieux. En route pour le tour du propriétaire !

À part au décollage, Destuiz n'avait pas eu trop à se plaindre du Prince des Enfers. Pundergast l'avait laissé tranquille pendant les trois semaines qu'avait duré le voyage, et le commandant Fisfuld s'était montré des plus prévenants, parfois même un peu trop.

À mesure que le vaisseau approchait de Venturi, il sentait monter en lui la tension et l'inquiétude étrangement mêlées à la joie du retour. Par la grande baie vitrée du cockpit, il put assister à l'arrivée en orbite autour de son monde natal. L'autorisation d'atterrir parvint aussitôt et il distingua les éclairs stratosphériques qui signalaient l'ouverture du bouclier au point de passage. Le Prince des Enfers pivota et plongea dans l'ouverture. Destuiz s'agrippa à son fauteuil. Fisfuld était un bon pilote, mais un peu trop versé dans le spectaculaire. Il pria pour que l'appareil ne soit pas désintégré à la suite d'une erreur de pilotage de ce casse-cou. Mais tout se passa bien : le vaisseau redressa le nez et sortit les trains pour se poser sur le tarmac de l'astroport dans un gémissement de réacteurs.

La porte du sas s'ouvrit en expulsant un jet de gaz. La lumière éclatante de Venturi obligea Destuiz à plisser les yeux. Les odeurs familières mêlées de kéro-proxium vinrent lui effleurer les narines. Il fit un pas en avant dans le soleil et réprima une terrible envie de hurler de joie. La passerelle s'arrima au sas et il s'engouffra dans le tube de verre translucide. Arrivé dans le hall de l'astroport, une délégation officielle l'accueillit chaleureusement. Certains pleuraient de joie, d'autres gardaient sur leur visage le masque de l'inquiétude.

Le gyroïde de la défense planétaire se posa dans le champ en face de l'astroport et la délégation s'engouffra à l'intérieur. Après deux heures de vol, l'engin s'immobilisa dans un vrombissement de pâles sur le toit de la base. Au milieu du panorama montagneux, un pilier de béton démesuré soutenait une lance de métal de plus de dix kilomètres de haut. Un minuscule bâtiment, adossé à la colonne, offrait un repère pour jauger la taille du réacteur.

Destuiz fut conduit sous bonne escorte jusqu'au cœur de la structure. Là travaillaient vingt-quatre heures sur vingt-quatre les équipes techniques humaines et robotiques. Le manque de sommeil et la tension se lisaient sur les visages des hommes que Destuiz avait si longtemps côtoyés. Il eut du mal à les reconnaître.

– Dieu soit loué, vous voilà de retour honoré Commandeur, soupira le chef des techniciens, un grand homme maigrelet au visage ridé et aux cheveux grisonnants.

– Ne perdons pas de temps, répliqua Destuiz, nous aurons tout le loisir de nous réjouir quand nous aurons réparé ce maudit bouclier.

Une longue nuit stellaireOù les histoires vivent. Découvrez maintenant