10 Vérités

ÉMILIE GARSON

Je m'appelle Émilie, pour ceux que ça intéresse. Et pour la petite histoire, puisque tout le monde semble vouloir se justifier à tout prix sur tout et rien, j'ai récupéré ce carnet sur la table de Vincent - juste après que Misha (joli prénom au fait) l'a déposé. Désolée, mais la curiosité a été plus forte que moi, j'ai cru qu'il était de mon devoir de laisser ma petite trace moi aussi.

- 1) Je vais peut-être vous surprendre, mais je suis du côté de Vincent. Tout le monde mérite mieux. Tout comme tout le monde peut changer. Ceux qui diront le contraire sont aveugles ou naïfs. Et puis, on a dix-sept ans. Qui pense amour, mariage, relation stable et sérieuse, surtout à notre âge ? Sincèrement ? Et puis, Vincent ne se comporte pas comme un connard avec les autres filles à partir du moment où ses filles-là se comportent comme des connasses avec tous les autres garçons. Qui se ressemble, s'assemble, non ? J'ignore si t'as tes chances avec Laura, mais une chose est sûre, Vincent, c'est que tu ne pourras pas la traiter comme toutes tes ex. Et si t'as assez de courage pour risquer de te ridiculiser - oui, car tu repars de zéro, mon chou - alors je pense que tu mérites mieux, en fait. Au final, on récolte tous ce que l'on sème.

- 2) Chère Hannah. On ne se connaît pas, mais je vois approximativement qui est Sylvie. Et je compatis. Je ne vais pas te cacher que j'ai moi-même cru certaines des rumeurs qui disaient que tu avais déjà avorté une ou deux fois et que c'était toi qui avais dénoncé les fumeurs de joint qui sont dans ma classe. Mais maintenant que je vois ton visage, je me rends compte que tu n'as pas du tout le profil de la fille qui cherche à faire du mal à quiconque. Je te demande pardon, parce que j'ai moi-même raconter ces rumeurs à d'autres. C'était idiot. Et injustifiable. Mais peut-être que tu as un peu cherché ce qu'il t'arrive, tu ne crois pas ? Je pense que tu es coupable de ne pas t'être confrontée à Sylvie droit dans les yeux. Lâcheté ? Ou simple plaisir inavouable d'être au centre de l'attention ? À ta place, je ne résisterais pas à mes pulsions - je lui enfoncerai le crâne au fond de la cuvette des chiottes. Plus facile à dire qu'à faire.

- 3) Je suis donc la première à donner mon avis sur ton cas, Misha. Tu es donc gay, si j'ai bien compris. Je trouve scandaleux le fait qu'on puisse être viré ou même sanctionné pour ses préférences sexuelles. Odieux et aberrant. Il y en a qui se peignent les cheveux en bleu, d'autres qui se tatouent les bras, se percent la peau, s'habillent à tort et à travers avec des styles vestimentaires interdits dans plusieurs pays du globe, il y en même qui sont racistes et sexistes dans ce lycée, mais c'est l'homosexuel - dont le seul crime est d'avoir posé le regard sur une personne du même sexe - qui se trouve sur la potence... Mais ce qui m'a le plus percuté, c'est l'absence de sens dans ta vie. Je n'irai pas jusqu'à dire que je ressens la même chose - non, moi, je m'arrache les cheveux pour gratter des points au-dessus la moyenne et j'ai vraiment du mal à ne pas craquer sous la pression des dossiers d'inscription qu'il faut déjà préparer alors que le bac n'est pas encore passé - mais je sais ce que ça fait de vouloir tout arrêter. À quoi bon, n'est-ce pas ? À quoi bon continuer ? Pour quoi ? Pour qui... ? POUR MATHIAS ? LE GARÇON QUI NE SOURIT JAMAIS ET QUI PROFITE DES COURS DE BOXE POUR SE DÉFOULER ? Non, Misha, j'espère sincèrement qu'on ne parle pas du même Mathias... Hélas, il n'y en a pas deux qui traînent avec Vincent.

Mais bon, je suis mal placée pour te faire la morale... car Émilie est amoureuse de l'ombre de Vincent... Je suis amoureuse de son ombre, de celui qui le suit à la trace, du gars un peu paumé qui rit à ses vannes pourries, qui hoche la tête devant ses états d'âme de diva, de celui que personne ne voit, de celui que personne n'entend, ni même n'aime... sauf moi. Mais je suis autant invisible à ses yeux qu'il l'est aux yeux des autres. Je n'ai aucune chance... et pourtant... J'en ai une, vous croyez ?