LUCAS FAMNEC

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Est-ce que c'est toi, Inès, qui a laissé ce carnet ? Ou est-ce encore une blague à la con de Vincent ? J'ignorais qu'autant de personne savait écrire dans ce bahut...

C'est bizarre de lire des textes écrits par des personnes qu'on ne connaît pas. J'ignore à quoi vous ressemblez et ça me stresse. C'est pourquoi j'ai mené ma petite enquête, histoire de voir quelle tête ont ceux qui osent raconter leur vie à des inconnus sans oser la raconter à leurs amis. Au passage, il y a des psy pour ça...

Vincent, je ne pense pas qu'il soit utile de te décrire. Tout le monde sait à quoi le bouffon de service de terminale ressemble. Sinon, il y a toujours les caricatures de Wilhelm dans les toilettes des garçons, il a un peu exagéré la taille de tes sourcils et la largeur de ta bouche, mais on reconnaît facilement ton regard d'obsédé qui lance des flammes devant une paire de fesses. C'est à cause des gars comme toi, que des mecs comme moi n'ont aucune chance avec les jolies filles du lycée. Parce qu'elles se sentent aussi obligées de nous comparer avec des tombeurs de ton genre. Et c'est sûr qu'en comparaison, je n'ai rien du sportif musclé qui passe son temps à la salle de sport ou à faire des matchs de football entre potes, ni celui qui a un emploi du temps plein à craquer entre les cours de tennis et le club de boxe... Moi, je suis plutôt le gars qui vient de finir Outlast 2 sur la console et qui écrit dans un carnet de brouillon jaune en décomposition.

Les filles se plaignent de faire des sacrifices, de devoir se maquiller pour plaire, d'être obligée de s'habiller féminin et sexy et de devoir maigrir pour être belle... Ne me faites pas croire que vous n'êtes pas aussi superficielles que les gars. Vous au moins, vous pouvez vous cacher derrière des masques de mascara et de rouge à lèvres... Comment je fais, moi, pour paraître plus viril et plus costaux ? Vous rembourrez vos soutiens-gorge avec des chaussettes, mais j'aurais l'air d'un débile profond si je scotchais mes caleçons à mes biceps inexistants, pas vrai ? Ou si je rembourrais mon pantalon pour avoir l'air d'être un homme et pas d'un môme... Non, c'est sûr que physiquement parlant, je ne ressemble pas du tout à Vincent, ni à Mathias et encore moins à Pierre. Vous vous ressemblez tous comme les pages d'un magazine... 

Quant à vous, Hannah, Émilie, Noémie et Inès... Vous êtes toutes plus différentes les unes que les autres. Quand j'ai demandé à ce qu'on me montre qui était celle qui avait avorté quatre fois et qui avait fait des avances au professeur de physique, on m'a désigné une fille aux cheveux bouclés, à la peau mate et au regard agressif. Je t'imaginais plus fragile, Hannah. Quand j'ai voulu savoir qui pouvait bien être amoureuse de Pierre, j'ai remarqué qu'une grande blonde à lunettes l'observait au self, à midi. Est-ce toi, Émilie ? Jolie frange, t'es précisément le genre de fille qui pleurera toutes les larmes de son corps en demandant au ciel : Pourquoi moi ? Pourquoi les hommes sont-ils tous les mêmes ? Pourquoi sont-ils tous des connards ? Je n'en suis pas un, moi. Ou du moins, je ferai tout pour ne jamais en être un. Puis je suis tombé sur un certain Gabriel qui dirige le journal du lycée et qui sort avec une certaine Noémie, une petite brune aux grains de beauté envahissants. Je vous ai vu ensemble. Vous avez l'air d'être comme les cinq doigts de la main, c'est étrange. Vous ressemblez au couple qu'on a tous envie de former avec celle ou celui qu'on aime.

Quand à toi, Inès. Je n'ai pas eu besoin de demander qui tu étais. Il n'y a qu'une seule Inès qui fasse entendre sa voix durant les conseils des délégués et dont la page Facebook soit la plus active de toutes celles présentes sur le groupe des terminales. Papa t'a offert un scooter ? Félicitations. En lisant ta page, je n'ai pas réussi à comprendre ce qui n'allait pas dans ta vie. Tu as tout ce que tu veux et c'est ça qui te dérange ? Ou est-ce le fait d'être tombée sur un garçon comme Paul, un garçon qui représente à la perfection l'image de ce que tu renvoies aux autres garçons du lycée ? Celle d'une sangsue sans cervelle ? Pardonne-moi d'être aussi méchant... J'espère ne pas l'avoir été autant que tu l'as toi-même été quand tes amies et toi se sont amusées à dresser la liste des garçons avec lesquels vous ne sortirez pour rien au monde... J'étais le dernier de la liste, et le pire, c'est que j'ai pris le fait d'être à la frontière entre les "non" catégoriques et les garçons potables, comme un compliment... Voilà ce que les filles comme toi, nous font ressentir. On a l'impression de ne pas être à la hauteur...

Tout ceci pour dire que je hais ce lycée. Je hais les gens qui s'y trouvent et ceux qui s'y plaisent. Je hais les garçons qui jouent les arrogants parce qu'ils ont bientôt dix-huit ans, mais qui agissent comme des gamins de sept ans. Je hais les filles qui se plaignent des garçons superficiels, mais qui le sont elles-mêmes. Et je hais par-dessus tout, la crainte inutile de voir mon prénom apparaître sur les murs des toilettes à chaque fois que j'y vais, comme si exister était un crime. Sauf que je suis un garçon banal et sans histoire alors je n'ai pas à m'en faire, je ne serais jamais au coeur des rumeurs, ni sur le tableau d'honneur de M'sieur-je-gribouille-sur-les-murs, n'est-ce pas Vincent ? Ce n'est pas parce qu'on se croise souvent en colle que tu vas t'intéresser à mon existence. À tes yeux, je reste le meuble invisible qui t'a tenu compagnie pendant tes heures de solitude dans le bureau de Mr Latente.

10 VéritésOù les histoires vivent. Découvrez maintenant