SHANA BEHLAOUI

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Chères Mathématiques, allez vous acheter une calculatrice et résolvez vos problèmes toutes seules. Je suis une adolescente, pas un thérapeute.

Je tenais à ce que ça sorte...

À vrai dire, j'étais sur le point de faire mes devoirs et de me servir de ce cahier comme brouillon, sinon je n'aurais pas demandé au blondinet devant moi de me passer ce torchon jaune qu'il allait laisser dans la case de sa table... Pas étonnant que cette chose se fasse trimballer de personne en personne si chacun le laisse traîner dans la salle des collés... Vous imaginez ? Ou suis-je la seule à trouver qu'une salle de classe spécialement dédiée à ceux qui sont en retenu soit une idée scandaleuse ? On dirait presque que Mr Latente est le roi de cet endroit sans couleurs qui pue la transpiration et le renfermé.

Bref, trêves de mondanités.

Je m'appelle Shana, et je ne fais pas dans l'humanitaire alors ne comptez pas sur moi pour donner mon avis sur les problèmes des autres alors que j'en ai moi-même des tas.

Bien que je sois heureuse de ne pas être la seule à avoir remarqué que ce lycée craint à mort et qu'il est rempli de personnes que j'aurais préféré ne jamais rencontrer dans ma vie... Je suis surprise d'être la seule sur les dix personnes ayant écrit dans ce carnet à être victime du racisme. Avec l'homosexuel, nous sommes deux à subir les injustices de la société.

Je porte le hijab. Voilà, c'est dit, vous avez maintenant une idée de la tête que je dois avoir. Ce n'est pas comme s'il y avait une dizaine d'autres Shana avec un voile sur les cheveux. Sérieusement, les gens, où est le problème ? J'ai été convoquée il y a deux jours dans le bureau du directeur sous prétexte que ma tenue vestimentaire paraît déplacée pour certains élèves... Ma religion pose-t-elle un problème ? Vous empêche-t-elle d'apprendre la relation de Planck ou le Mythe de la Caverne de Platon ? Oh, je peux comprendre qu'elle attire votre attention beaucoup plus que le cours ennuyeux de Mr Beauduc au sujet de la Chine face à la mondialisation...

Vous ne pouvez pas savoir à quel point il est fatiguant de sentir tous ces regards sur soi et d'entendre tous ces reproches sexistes, racistes et profondément ahurissants concernant mon hijab. Pourquoi le mets-tu ? Tu es dans un pays libre où on "respecte" l'égalité homme-femme et où les filles sont indépendantes et fières de leurs droits... Laissez-moi rire haut et fort... Auriez-vous donc peur d'un simple tissu ?

Je porte le voile pour honorer ma croyance envers le Créateur. Chose que les chrétiens comprendront puisqu'il leur arrive de porter la croix et dont les juifs ne pourront me réprimander puisqu'ils portent la kippa.
Je n'ai pas peur d'être musulmane. Mon voile m'éloigne des tentations de la société actuelle. Si on me regarde de travers parce que je ne bois pas, ni ne fume, ni ne me drogue et que je vis dans l'abstention, alors le monde d'aujourd'hui est bien triste.
Mais je porte aussi le hijab par pudeur. C'est un symbole de respect et de dignité porté par celles qui partagent ma religion. Certes, elle me dicte une partie de mon code vestimentaire, mais moi, au moins, je ne suis pas aveuglément les modes dictées par les mannequins anorexiques et les droguées boulimiques des magazines. 
Par ailleurs, chères féministes en herbe qui hurlent déjà ou qui se contentent de secouer la tête d'un air désapprobateur, sachez une chose : la féminité ne réside pas dans la nudité, la vulgarité ou même l'imitation des hommes. Je suis féminine et féministe. Porter le hijab est un choix symbolique. Il est mon expression de la liberté et ce n'est pas une contrainte.
Et puis il me protège de la pollution, entre autres.

Ce n'est pas quelque chose qu'on m'a imposé... Non, mais il est vrai que certaines traditions de ma religion me posent quelques contraintes qui devraient être révolues. J'ai peut-être tort d'en parler ici - de un, parce que ça ne regarde que moi et de deux, parce que je risque de donner d'autres arguments à tous ces beaux parleurs qui ignorent tout de leur sujet. S'il y a bien deux choses qui me dérangent dans ma religion, c'est son regard vis-à-vis de l'homosexualité et vis-à-vis du mariage avec les non-musulmans. L'amour devrait être propre à chacun, comme la religion, c'est un choix personnel et intime que personne ne devrait nous dicter.

Enfin, c'est ce que je pense... Et je le pense parce que j'ai dix-sept ans et qu'il est difficile de ne pas succomber à la tentation d'une belle tablette de chocolat, le tout orné d'une sublime paire d'yeux gris, surtout quand celle-ci appartient à un beau gosse de terminale qui porte une croix autour du cou...

Mais je suis une fille sérieuse qui cherche du sérieux. Je ne fais que soulever l'injustice qu'il y a entre mon frère qui a le droit d'aimer une fille non-musulmane et moi, qui n'en ai pas le droit...

10 VéritésOù les histoires vivent. Découvrez maintenant