INÈS MOGÈS

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Le cerveau humain est merveilleux. Il fonctionne 24h/24 et 7j/7 du jour de notre naissance jusqu'au moment où on se trouve devant notre feuille d'examen. Là, tout s'arrête.
Et on se dit : "j'aurais dû prévoir. J'aurais dû mieux réviser. J'aurais dû être Einstein... Ou alors, j'aurais dû rester dans mon lit et prétendre être plus malade qu'un cadavre."
Mais ce n'est pas pour cela que j'ai séché le contrôle de math. Ce n'est pas parce que je suis collée en ce bel après-midi pluvieux et que je m'ennuie à mourir que j'écris dans ce carnet.

Puisqu'on parle de nos problèmes et de ce qui nous fait peur, laissez-moi vous faire sourire.

Je m'appelle Inès. Je suis en terminale littéraire. Je fais partie du top 3 des meilleurs élèves de ma classe et peut-être même de ma section. En plus d'être une fille sérieuse et impliquée dans ses études, je suis la cadette d'une fraternité de deux garçons. Je suis la seule fille, la bien-aimée, la protégée, la gâtée, l'ange blond dont les ailes scintillantes vous caressent les bras quand elles vous frôlent. Sans déconner. Je ne me plains jamais quand il faut faire la vaisselle et ma chambre est toujours bien rangée. Ma moyenne ne tombe jamais en dessous de 15 et je participe en classe. J'ai même été élue déléguée. Bref, on ne peut pas être meilleur cliché de la fille modèle que moi. J'organise des fêtes, les gens viennent, s'amusent. J'organise d'autres fêtes, les gens reviennent et s'amusent à nouveau. Des types comme Vincent ou Paul, j'en ai eu pas mal sur mon canapé, à fouiller dans mon réfrigérateur, à fumer sur mon balcon et à coucher avec des filles qu'ils connaissaient à peine dans ma chambre. Des garces comme Sylvie ou Clara, il y en a eu des tas sur les chaises de la salle à manger, à se remaquiller dans ma salle de bains et à se dandiner sur un rap aux paroles incompréhensibles issu de mes enceintes. J'ai même fait partie du groupe de ces filles qui ne disent pas non à l'alcool et au sexe. Et pourtant, ça ne m'a pas empêché d'aller à la messe tous les dimanches et d'être une bonne élève. Stéréotype. Maintenant que je me regarde dans le reflet de la fenêtre, je me rends compte à quel point je suis un cliché sur pieds. Mais pourquoi en avoir honte ? Ai-je fait du mal à quelqu'un ? Je me suis contentée de prendre la vie telle qu'elle me venait sous la main. S'amuser, travailler, rire, réussir, faire les boutiques, avoir un petit-ami, être déléguée, changer de tampons. Et surtout, ne pas oublier de prendre la pilule...

À aucun moment, je ne me suis remise en question. Quand Vincent m'a larguée pour sortir avec la correspondante espagnole de son ami, j'ai versé ma larme et j'ai tourné la page. Quand Clara m'a raconté tous ses problèmes de couples avec Mathias, j'ai écouté et j'ai donné mes conseils. Quand Sylvie m'a demandé si j'étais lesbienne, j'ai compris et je l'ai encouragé à ne pas se cacher. Une bonne amie et une fille intelligente et raisonnable. C'était tout ce que je voulais être. Je voulais être une fille sans regrets, sans remords et sans scrupules.

C'est pour quoi, je vais vous dire mes vérités.

Misha, tu sembles être un gentil garçon. Et c'est en amie que je te déconseille d'appeler Mathias. L'huile et l'eau ne se mélangent pas. Tu as déjà souffert - peut-être même que tu souffres encore - alors vois la réalité en face. Mathias, homo ou non, n'est pas quelqu'un de stable. Pardonne-moi, Mathias. Les problèmes que tu as font l'homme que tu es.

Hannah, j'ignore les raisons pour lesquelles tu as l'impression que Sylvie s'acharne sur toi. Je doute qu'elle le fasse par plaisir malsain. Il est vrai qu'elle est douée pour faire des coups bas, mais au fond, elle est victime de sa propre méchanceté. La violence n'est pas un remède. Si tu n'as pas le courage de l'affronter, laisse le temps éteindre les rumeurs.

Émilie. Si je suis le cliché de la fille parfaite qui a tout ce qu'elle veut, alors toi, tu es le cliché de la gentille enfant qui tombe amoureuse du bad boy. Si personne ne fait attention à Pierre, c'est pour de bonnes raisons. Il ne prend rien au sérieux et n'agit jamais sans ses amis. L'aimer, c'est devoir aimer toute sa bande.

Noémie et son meilleur ami sortent ensemble, si j'ai bien compris. Un conseil pour rompre ? Dis-lui les mots magiques : je te quitte. Ces choses-là se règlent comme un pansement, tu l'arraches d'un coup sec et c'est fait.

Maintenant, c'est mon tour.
Si j'ai séché le contrôle de math, c'est parce que j'avais rendez-vous avec mon destin. La veille, j'étais à la fête d'anniversaire de Jennie. J'ai dansé, j'ai bu, j'ai ri et j'ai même fait des selfies avec des personnes beaucoup plus ivres que moi. Puis je me suis rapprochée de Paul. C'est fou ce que les gens qu'on déteste se transforment en ceux qu'on adore une fois que la Vodka est passée. J'ai embrassé le crapaud et il s'est transformé en prince.

J'ai eu une mauvaise idée, mais à ce moment-là, elle me paraissait géniale. Et puis, ce n'était pas la première fois que je couchais avec un garçon dans une chambre qui n'est pas la mienne. Paul, pourquoi lui ?

Dieu merci, j'ai pu acheter une pilule du lendemain à temps... D'où mon absence à l'examen.

Et maintenant, j'ai peur. C'est comme si la vie parfaite que je me suis construite devenait subitement un cauchemar. J'aimerais tout changer. J'aimerais redevenir une enfant. J'aimerais ne plus croiser le regard pervers et vulgaire de Paul dans les couloirs. Ni l'entendre me lancer des "On refait ça quand tu veux" devant ses amis narquois. J'aimerais tellement changer de lycée...

10 VéritésOù les histoires vivent. Découvrez maintenant