OK, d'accord... Alors, premièrement, je te remercie, Hannah, de m'avoir passé le carnet. Deuxièmement, Vincent, je suis d'accord avec Hannah, tu es un connard. Mais pas pour les mêmes raisons...
À vrai dire, j'ignorais qui tu étais aussi avant de lire ta page et celle d'Hannah, mais maintenant que j'arrive à faire les liens entre ce qu'il y a d'écrit dans les toilettes, ce que disent les gens et ce pourquoi j'ai failli me faire virer l'année dernière... Je te le dis, t'es un enfoiré.Si j'avais su que Vincent n'était autre que toi, je ne t'aurais pas prêté mon stylo. D'ailleurs, je viens de me rendre compte que tu l'as emporté avec toi dans les toilettes - plus besoin de me le rendre, c'est cadeau, je te l'offre.
Mais au fond, tu n'es pas la personne à qui j'en veux le plus parmi tous ceux qui te suivent comme des sbires. Même si à cause de toi et de tes potes, ma deuxième année au lycée est devenue un cauchemar... Parce que oui, Vincent, tu ne te souviens pas de moi et il est vrai qu'on ne s'est jamais retrouvé nez à nez, mais tu as réussi à faire de ma vie un enfer en l'espace de quelques mois seulement. Et à cause de toi, et du fait que l'homosexualité soit encore un tabou et une raison d'être exclu du lycée, je me retrouve obligé de jouer les radiateurs invisibles tous les jours.Tout ça parce que j'ai regardé ton pote dans les vestiaires l'année dernière. Tout ça parce qu'un autre petit con m'a fait la remarque et qu'il s'est senti destiné à m'humilier semaine après semaine avec des phrases du type "Casse-toi, suceuse" ou encore des "enlève ton masque, tafiole, on sait que t'as un vagin à la place des couilles". Merci, Paul. Merci beaucoup pour toutes les autres expressions non homologuées que tu m'as sorties l'année dernière. Mais il faut croire que tes résultats scolaires ne t'ont pas permis de rester parmi nous - tu m'en vois navré, vraiment.
Enfin bref, tu vois, Vincent ? Tu penses mériter mieux, mais avec les amis que t'as, il est difficile de croire que tu ne puisses pas mériter pire... Et je rejoins Hannah au sujet de Laura. J'ignore qui elle est et quel genre de gars l'intéresse, mais je doute que son QI soit assez faible pour qu'elle puisse perdre son temps avec toi.
...
Bon, maintenant que les choses sont dites, je me rends compte que je pourrais dire deux ou trois choses sur moi - car après tout, c'est ce que les deux pages précédentes donnent envie de faire.
Mais que dire de ma vie ? Si ce n'est qu'elle est nulle. Je n'ai pas de problème avec mon emploi du temps, je ne suis pas overbooké par des fêtes et des soirées, car je n'ai pas de vie sociale. Du coup, de ce côté-là, je n'ai pas à m'en faire, pas vrai ? Non, ma vie est la même depuis mon premier jour d'école. J'aurais dû sentir venir l'arnaque dès ma première heure de cours en maternelle. Mais au lieu de ça, je continue d'apprendre mes leçons et mon apprentissage comme un bon chien-chien. Et le pire, c'est que ça ne me dérange pas plus que ça. Les cours, les professeurs, les interrogations surprises, les notes, la pression, les dossiers d'inscription, les projets, les bulletins, le bac... Ça ne me fait même plus peur... Parce que j'en ai strictement plus rien à faire. À vrai dire, si jamais je rate tout - mais vraiment tout - je pense qu'au plus profond de moi, je le verrai comme une réussite. Pourquoi ? Je n'en sais trop rien. Je ne sais plus grand-chose depuis un certain moment à présent.Tout ce que je sais, ce que la seule chose dont j'ai vraiment envie ne m'est pas accessible, ni de près, ni de loin. Non, la chose que je désire le plus au monde, comme un besoin vital, un indomptable manque d'oxygène, eh bien, cette chose-là n'a pas besoin de moi pour survivre. Je me dis que si je l'avais rien que pour moi, ne serait-ce que le temps d'un regard, d'une minute, d'une heure ou... d'une nuit... alors je parviendrais sûrement à retrouver le goût à la vie. Car il n'y a pas plus sadique souffrance que de sentir le parfum de la vie, sans pouvoir la toucher de ses propres doigts. Je suis un mort-vivant en manque de destin. Il est là, juste devant moi, mais toutes ses voix dans ma tête et autour de moi me disent que je ne l'aurais jamais et que je finirai tôt ou tard par passer à autre chose... Car le malheur est éphémère, n'est-ce pas ? Je crois que je connais mon premier chagrin d'amour...
Au point où j'en suis, je crois que si j'ose donner le nom de cette chose qui m'encourage à venir tous les matins au lycée, alors personne ne me blâmera... Toi non plus, Vincent. Parce que ça ne te concerne pas. Même s'il s'agit de Mathias, ton meilleur ami.
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10 Vérités
Short StoryIls ont mis un petit bout d'eux-mêmes dans un carnet qui traînait là, sur le bureau du surveillant qui était censé les surveiller pendant leur heure de colle. Dix personnes qui n'ont rien caché de leurs sentiments vis à vis de ceux qui n'étaient pa...