20.Avigaël

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À mon arrivée, comme chaque jour, je trouve Mme Reynolds sur sa balancelle, à l'arrière de la maison, son tablier fleuri à la main. Je lui ai expliqué que ce vêtement était avilissant, mais sans succès. Alors maintenant, je l'enfile sagement et tant pis si je ressemble à un plouc.

Les amis de Louis ont dit que ma seule chance de trouver un cavalier, pour la fête de fin d'année, était de passer une annonce sur Internet. Je les ai entendus lors du festival d'automne. À voir Louis avec ses potes, alors, on aurait juré qu'il n'avait joué aucun rôle dans ce qui m'est arrivé. Il n'a pas réagi, et son indifférence m'a fait plus de mal que les paroles infectes de Drew.

— Aujourd'hui, nous allons faire du ménage dans le grenier, annonce Mme Reynolds. Tiens, prends ce balai. Je vais prendre la pelle et le seau.

— On ne plante pas d'autres bulbes ?

— Je ne peux plus voir ces bulbes en peinture. On se remettra au jardinage demain.

Elle me montre l'escalier qui mène au grenier.

— Ne ferme pas la porte, ou nous resterions enfermées là-haut.

L'endroit est petit, sombre et rempli de cartons, de photos, et de... toiles d'araignée.

— Madame Reynolds ?

— Oui, Avigaëllia.

— J'ai peur des araignées.

— Pourquoi cela ?

— Parce qu'elles ont de vilaines pattes, qu'elles piquent, et qu'elles ont des fils collants qui leur sortent du derrière pour attraper les petites bêtes avant de leur sucer le sang.

Je m'attends qu'elle se moque de moi mais elle m'explique.

— Les araignées permettent de réguler la population des insectes. Elles sont utiles, et il n'y a rien d'autre à retenir.

Tout, dans ce grenier, semble fait pour qu'on s'y sente oppressé : des énormes malles dans un coin, et des montagnes de cartons dans l'autre.

— Tu peux commencer par dépoussiérer les coffres, propose Mme Reynolds en s'installant sur une vieille chaise.

Heureusement, ces coffres sont au milieu de la pièce, loin des toiles d'araignée. La vieille dame me tend un chiffon et un spray dépoussiérant qu'elle sort de son seau. Je vaporise le dessus d'une malle en bois que je frotte jusqu'à le faire briller.

— Ouvre-la, suggère Mme Reynolds.

Je la regarde avec hésitation.

— Vas-y !

Je soulève le couvercle et découvre la photo encadrée d'un jeune couple.

— C'est vous ?

— Oui, avec mon mari, Albert. Paix à son âme.

Sur la photo, Mme Reynolds porte une robe élégante qui lui arrive aux genoux, et des gants de satin aussi longs que ses bras. À côté d'elle, son époux ne regarde pas l'objectif : il admire sa femme comme s'il s'agissait d'un diamant.

 À côté d'elle, son époux ne regarde pas l'objectif : il admire sa femme comme s'il s'agissait d'un diamant

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— Vous vous êtes mariés jeunes ?

— J'avais vingt ans, et lui vingt-quatre. Nous étions très, très amoureux.

— Je regrette tant que mes parents ne s'aiment plus, dis-je en lui tendant l'image. Ils ont divorcé.

— Oui, mais la vie continue, malgré tout ce qui peut nous arriver. Tu n'es pas de mon avis ?

J'acquiesce, car elle a raison, bien sûr. Même après l'accident, quand j'ai appris que je ne remarcherai jamais normalement et que je ne pourrai plus jouer au tennis, ma vie a dû reprendre son cours.

C'est ainsi, qu'on le veuille ou non.

Elle examine d'autres clichés, penchée au-dessus du coffre.

— J'ai passé un peu de temps avec ta mère, chez Tante Mae. C'est une femme charmante, raconte-t-elle sans quitter des yeux la photo d'un petit garçon.

— Merci, dis-je avec une certaine fierté.

C'est vrai qu'elle est plutôt sympa, pour une mère. Si seulement mon père l'avait trouvée suffisamment sympa et charmante pour rester avec elle...

Mme Reynolds me tend la photo du garçonnet.

— C'est mon fils. 

J'étouffe un rire.

Qui aurait pu dire qu'en grandissant, ce petit bonhomme deviendrait le patron de ma mère ?

— Il a été marié, mais sa femme est morte d'un cancer des ovaires cinq ans plus tard, me confie-t-elle dans un soupir.

— Ils n'ont pas eu d'enfants ?

Elle secoue la tête.

— Allez, assez flâné ! Il y a quelques cartons que j'aimerais jeter aux ordures. Si nous faisions le tri ? Quelque part, dans un coin, il doit y avoir une boîte marquée impôts.

Je suis ses indications tout en contrôlant la présence d'éventuelles araignées. Beurk. Leurs toiles occupent tous les angles du plafond, prêtes à cueillir le premier insecte imprudent. Rien que d'y penser, j'en frémis d'horreur. Heureusement que je ne suis pas un insecte.

— Avigaëllia ?

— Oui ?

— Je vieillis à chaque seconde, lance-t-elle avec impatience. Il faut nous dépêcher.

— Quel genre de boîte cherchons-nous ?

— Je ne me souviens pas, mais je suis certaine qu'elle est étiquetée.

Je n'ai plus qu'à retourner chaque boîte dans tous les sens, en espérant trouver le mot IMPÔTS inscrit dessus.

Surprise par un bruit, je pousse un cri aigu. Me retournant vivement, je m'aperçois que Mme Reynolds se tient tout près de moi.

— Calme-toi donc. As-tu trouvé quelque chose d'intéressant ?

— Je crois, dis-je en soulevant une boîte marquée « IMPÔTS, 1968 ». C'est celle-là ?

Elle applaudit, comme une prof féliciterait une élève appliquée.

— Oui. Mets-la près de la porte. Il y en a tellement d'autres à jeter à la poubelle ! Je pense que nous en avons pour quelques jours.

Au moment où je dépose le premier carton de la pile « À Jeter », la sonnette de la porte d'entrée retentit. Mme Reynolds fronce les sourcils en inclinant la tête.

— Sois gentille, va ouvrir, veux-tu ?

— Bien sûr. La sonnette retentit deux autres fois avant que j'atteigne la porte. J'ouvre rapidement, pour reculer et trébucher instantanément. Sur le seuil se tient la dernière personne que je m'attendais à trouver ici : Louis Tomlinson.

Pour la seconde fois depuis son retour, il tend la main pour me rattraper.

Paradise with TomlinsonOù les histoires vivent. Découvrez maintenant