34.Avigaël

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Je fredonne une vieille chanson que ma mère me chantait quand elle me bordait, le soir, à l'époque où j'avais peur du noir. Ma vie d'alors était moins compliquée. Mon père vivait à la maison et le seul travail de maman consistait à être une mère.

Désormais, elle travaille comme serveuse, et elle fréquente un homme. Bon, d'accord, je suis quelque peu responsable du second point. Je ne peux pas lui reprocher de vouloir sortir le soir. Grâce à Louis, j'ai réussi à me faire une raison.

Quand il m'a embrassée pour la première fois, toute la soirée s'est teintée de magie. J'étais prête à n'être qu'une amie pour lui, à chérir notre relation platonique, et hop ! nos liens se sont brusquement... développés. Avec lui, j'oublie que je boite. Seul me reste à l'esprit le bonheur de parler, de partager et d'embrasser.

Suis-je retombée amoureuse de Louis Tomlinson ? Je ne sais pas. J'ai tellement peur de souffrir que j'ai bâti un rempart protecteur autour de mon cœur. Mais je sens que Louis grignote peu à peu ce mur.

Après le travail, nous avons pris l'habitude de descendre du bus deux arrêts avant chez nous pour être plus longtemps ensemble. Malheureusement, aujourd'hui il avait rendez-vous avec un éducateur de la maison de correction. C'est important pour lui, et j'espère que tout va bien se passer.

Je lui ai pardonné l'accident. Il y a deux jours, il a tenté d'aborder le sujet, en affirmant qu'il avait une révélation à me faire. Je l'ai interrompu en l'embrassant et lui ai promis que je ne lui en voulais plus.

Le vent souffle et les feuilles commencent à tomber.

C'est la fin de l'été. Les arbres, l'herbe et les fleurs se préparent à dormir. En plantant les derniers bulbes de Mme Reynolds, je songe à l'hiver qu'ils vont devoir endurer avant le dégel, quand les bourgeons seront prêts à accueillir les premiers rayons du soleil.

Sortant de mes rêveries nourries de chansons, d'arbres et de Louis, je lève le nez pour tomber sur Mme Reynolds. J'arrête immédiatement de chanter.

— Comme tu es gaie, aujourd'hui !

— Je n'ai plus que cinq bulbes à mettre en terre, et tout sera fini.

— Ça aussi, c'est une bonne nouvelle, dit-elle en observant le ciel qui s'assombrit.

— Le temps est en train de changer. Le fond de l'air est déjà plus frais, l'hiver approche.

— Oui, je le sens, moi aussi.

Après avoir planté la dernière jonquille, nous nous installons pour dîner ensemble.

— J'aimerais vous inviter à dîner, un soir, toi et ta mère. Mais seulement si ça ne te gêne pas.

— Mais non, pourquoi ?

— Parce que mon fils a passé plus de soirées avec ta mère qu'avec quiconque en trois ans. Je lui ai donné des conseils, tu sais. C'est moi qui lui ai dit comment s'y prendre.

— Vraiment ?

— Est-ce que Lou t'a apporté des chocolats la première fois qu'il est venu chez vous ?

Je hoche la tête.

— Ça, c'était mon premier conseil. Je lui ai recommandé de choisir des roses jaunes pour ta mère parce que c'est la meilleure façon d'entamer une...

— Ce n'étaient pas des roses jaunes.

— Non ?

— Non, c'étaient des tulipes.

— Jaunes.

— Violettes.

— Mmm... et les chocolats ? Étaient-ils fourrés au caramel ?

— Non, à la menthe. Délicieux.

— Délicieux, rien que ça. Bravo, il a suivi les conseils de sa mère.

Je ris. Ma patronne agite les bras dans le vide.

— Allez, assez flâné, Avigaël.

Alors que nous débarrassons la table, Mme Reynolds est prise de vertige. Elle doit se retenir au plan de travail.

— Est-ce que ça va ? dis-je en lui prenant une assiette des mains avant de la guider vers le canapé.

— Ces nouveaux médicaments ne sont bons qu'à dévaster mes vieux os. Rien d'inquiétant.

Malgré ses paroles, je me fais du souci pour elle. Avant de quitter la maison, j'appelle son fils pour lui recommander de vérifier si elle va bien.

Après m'être assurée qu'elle n'avait plus besoin de rien, je me dirige vers l'arrêt de bus. Soudain, un véhicule freine à ma hauteur. Je reconnais les types qui se sont bagarrés avec Louis.

— Hé, mais on dirait que c'est la petite copine attardée de Louis Tomlinson ! vocifère l'un d'eux par la fenêtre ouverte.

Je continue à marcher en me mordant l'intérieur de la lèvre.

— Je crois que tu lui plais, Vic, lance un autre pour amuser ses copains. Pourquoi tu ne lui donnerais pas un peu de bon temps ?

La voiture me suit. Je prie pour que personne n'en descende. Si je cessais de marcher, s'en prendraient-ils à moi ?

Ma peur est si intense que je tremble comme une feuille.

Trop tard pour retourner chez Mme Reynolds.

Un plan se forme dans ma tête. Je fais demi-tour, mais, dans le mouvement, je perds l'équilibre et chute.

Mes mains me brûlent, et un liquide visqueux coule à mon genou d'une ancienne blessure.

— Ça te plaît, cette balade ? hurle un des gars par la fenêtre.

Je me relève et accélère le pas, tant bien que mal. Je n'ose pas me retourner.

Quand j'aperçois le bus, soulagée, je me précipite pour faire signe au chauffeur avant d'aventurer un regard dans mon dos. Sont-ils toujours là ?

— Tout va bien ? demande l'homme au volant.

— Ça va, merci, dis-je en rejoignant le siège arrière.

Rien ne pourra me soigner, ni les séances de rééducation, ni les opérations chirurgicales. L'ancienne Avigaël, la championne de tennis, qui pouvait fuir le danger en prenant ses jambes à son cou, n'existe plus.

Louis est dans son jardin. Il tond la pelouse quand je surgis en boitant dans notre rue. Coupant le moteur de la tondeuse, il accourt dès qu'il m'aperçoit.

— Que t'est-il arrivé ? Raconte-moi ce qui s'est passé.

— Je vais bien, dis-je en retenant mes larmes.

Après avoir vérifié que personne ne nous observe, il saisit mon visage entre ses mains avec douceur.

— Tu ne vas pas bien du tout. Parle, à la fin !

Je lui lance un regard désespéré.

— Ce mec, Vic...

— S'il t'a touchée, je le tue, grogne-t-il en remarquant mon pantalon déchiré et taché de sang.

— Il ne m'a pas touchée. Ils se sont juste amusés à me faire peur. C'est tout.

— Je vais tout faire pour que ça n'arrive plus jamais, Avi'.

Reconnaissante, je lui souris avant d'ajouter :

— Tu ne seras pas toujours là pour me protéger. Que feras-tu quand je serai en Espagne ? Tu prendras l'avion pour tabasser tous ceux qui se paieront ma tête ?

Paradise with TomlinsonOù les histoires vivent. Découvrez maintenant