33.Louis

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Le matin, Damon est passé à la maison avec les tests d'évaluation de l'État de l'Illinois. Il a commencé par interroger ma famille, y compris Charlotte, avant de me retrouver en tête en tête, dans ma chambre, pour me cuisiner à son gré. Je lui raconte que j'ai demandé à Avigaël l'autorisation de voir sa jambe. Autant laisser de côté le fait que nous travaillons ensemble tous les soirs, ou qu'elle est la seule personne capable de me faire oublier l'année écoulée. Sans parler du fait que nous avons dormi dans le même lit...

— Tu n'as pas le droit d'être seul avec ta victime, Louis, me rappelle-t-il.

— Soyez sans crainte...

Il traverse la pièce et place ses mains sur ses tempes, comme s'il était pris d'une brusque migraine.

— Tu lui fais les yeux doux ?

— À qui ?

— À Avigaëllia.

— Mais non, pas du tout.

— Vous, les gosses des petites villes, vous êtes différents. Bon, on va changer les règles : ne t'approche pas d'elle.

— J'ai le choix ?

— Non.

Damon ouvre un dossier et sort la mine de son stylo.

Clic. Clic.

— Tu es presque arrivé au bout de tes heures de travaux. Un belvédère pour Mme Reynolds ? Je vois que tu y bosses depuis trois semaines.

— Si tout se passe bien, je devrais avoir terminé à la fin de la semaine prochaine.

Ah, quand même, il a l'air impressionné.

— C'est du bon boulot, Louis. Tu m'as fait douter au début, mais finalement tu es super. Je suis fier de toi. Revoyons-nous la semaine prochaine pour parler de ce qui se passera après ta libération.

Cette visite de Damon m'a redonné de l'énergie, surtout parce que la menace d'un éventuel retour en prison appartiendra bientôt au passé. Mais pour cela, il faut absolument que mes rapports avec Avigaël restent secrets. Je vais frapper à la porte de ma sœur. Sa chambre est en réalité une cave où elle hiberne toute l'année, sauf pour aller en cours et s'alimenter. Comme elle ne répond pas, je frappe plus fort.

— Lottie, ouvre-moi !

— Qu'est-ce que tu veux ? demande-t-elle à travers le mur.

C'est plus difficile que prévu.

— Contente-toi d'ouvrir cette porte !

Elle entrouvre à peine. Je la pousse afin de pouvoir entrer. Il fait tellement noir, là dedans, que j'éprouve un besoin urgent de tirer les rideaux.

— Referme ça.

— Il faut qu'on parle et je ne vois rien du tout.

— Je n'ai pas envie de parler.

— Dommage, dis-je en croisant les bras.

Lottie se cramponne à la poignée de la porte, comme si elle préparait sa fuite.

— Maman et papa sont à la maison ? demande-t-elle, nerveuse.

— Ils sont sortis.

Je ne sais pas par où commencer. Tout ce que je sais, c'est que je suis prêt à parler à voix haute. C'est tapi au fond de moi depuis plus d'un an. Le démon va devoir me lâcher. Couvrir les conneries des autres, et vivre dans un monde imaginaire, ce n'est pas une vie. Rassemblant tout mon courage, je me lance :

— Tu as renversé Avigaël avec la voiture et j'ai endossé tous les torts. Mais c'était une bêtise. Je ne l'aurais pas fait si j'avais su que tu te transformerais en cadavre.

Elle écarquille les yeux, comme si elle saisissait la vérité pour la toute première fois.

— Parle, Lottie. Dis quelque chose... n'importe quoi.

— Je n'arrive pas à l'admettre ! rugit-elle, avant de se jeter sur son lit en se cachant la tête.

Je lui lance une boîte de mouchoirs que je trouve sur sa table de nuit. Je reste debout, à côté d'elle, en sanglots.

— Je suis désolée, Louis, je le regrette tellement. J'aurais pu la tuer, se lamente-t-elle.

— Oui, mais elle n'est pas morte.

— Je suis restée là, à les regarder te mettre les menottes. Je les ai laissés t'emmener.

J'ai toujours tenu le rôle du fauteur de troubles, dans notre famille, de celui qui commet toutes les erreurs. Lottie était la fille impeccable, et j'étais le rebelle. Même ivre, je n'ai pas hésité à me porter coupable. Lottie ne pouvait pas être menottée, arrêtée, et condamnée. Elle n'aurait pas pu supporter la prison. Moi, j'en avais la force. Les flics n'ont pas posé de questions quand j'ai tout avoué. Mes parents n'ont même pas été étonnés par ma culpabilité.

— Tout est fini, lui dis-je.

— Non, Louis, ce n'est pas fini. Il n'y aura jamais de fin. Je vais porter le poids de cette culpabilité jusqu'à la fin de mes jours. Je n'arrive même pas à regarder Avigaël. Putain, Louis, même toi je n'arrive pas à te regarder en face. C'est tellement dur pour moi ! Tu n'imagines pas à quel point.

Elle a raison. Je ne peux pas me mettre à sa place. Se tournant vers moi, elle me tend un visage terrifié.

— Tu ne le diras à personne, dis ? Promets-moi de ne jamais le dire à personne.

Je baisse les yeux vers ma sœur, tous mes anniversaires, et toute mon enfance. Elle devrait me connaître aussi bien que je la connais, éprouver mes souffrances comme je ressens les siennes. Elle devrait savoir que ce secret me ronge de l'intérieur, moi aussi. Mais elle a perdu le sens des réalités et maintenant elle m'ignore, pour se concentrer uniquement sur elle-même. Au bout du compte, nous sommes devenus deux étrangers.

Paradise with TomlinsonOù les histoires vivent. Découvrez maintenant