Parole

93 13 4
                                    

Assise en face de cet homme en blouse blanche, à coté de ce garçon qui portait la même tunique qu'elle, elle attendait que ce soit son tour de parler.

Au bout de longues minutes d'attente, le garçon parla.

-Je suis Hadrien, j'ai quinze ans, je souffre de boulimie. Je suis entré dans cet hôpital il y a deux mois, quand mon estomac a commencé à saigner à cause des acides que je stimulais pour me faire vomir.

Puis il la regarda. Elle n'avait pas écouté ce que toutes ces personnes assises en cercle avaient dit.

Le médecin lui jeta un regard, avant de lui demander de se présenter. Elle fit non de la tête. Elle ne voulait pas parler. Le docteur n'insista pas. Les personnes autour d'elle parlèrent, encore et encore, et elle ne voulait que rentrer chez elle, elle qui n'aimait pourtant pas son foyer.

-C'est la fin de la séance, vous pouvez regagner vos chambres.

Elle se leva très rapidement, et commença presque à courir vers la porte de sortie.

-Non. Pas toi, jeune fille. Tu restes.

Elle grommela, et se résigna. Elle s'assit et tentait d'assassiner le médecin à coup de regards noirs.  Quand tout le monde fut parti, le médecin expira longuement, puis lui demanda de se présenter.

-...Capucine. Dit-elle rapidement

-Ton age? C'est important que j'apprenne à te connaitre pour t'aider.

-M'aider en quoi ?! Je n'ai pas besoin d'aide. Riposta-t-elle

-D'accord. Mais tu vas me dire ton age.

-Quinze, seize, peut-être dix-sept ans, j'ai arrêté de compter.

-Fort bien. Cependant, si tu es ici, c'est pour une raison, et c'est de mon devoir de te garder ici jusqu'à ce que tu te sentes mieux.

-Très bien, alors faites ouvrir les portes de cette prison, amenez-moi mon sac et mes fringues, je me taille, je vais mieux.

Ses paroles étaient ponctuées de grands gestes. A la fin de chaque phrase, elle retirait les cheveux qui masquaient son visage avec ses mains, toujours très vivement.

-Non. Tu es au point le plus bas.

-Je connais les hostos, les gens comme vous. Vous voulez me "sauver de moi-même". J'ai seize ans. Je peux me débrouiller seule. Répondit-elle hostilement.

-Et bien voilà, je l'ai ton age! Dit-il dans un rire.

Elle roula les yeux aux ciels et croisa les bras. La chaise en plastique sur laquelle elle était assise lui torturai le dos, principalement le haut.

-Pourquoi es-tu ici Capucine?

-Parce que j'ai eu une chute de tension. Dit-elle du tac au tac

-Parce qu'on t'a trouvé dans la rue, devant l'appartement de ton ami, inconsciente. Ta nuque était presque brisée, tu baignais presque dans ton sang. C'est quasiment un miracle que tu aies survécu. Avant les interventions chirurgicales pour fermer tes plaies au niveau des jambes, du ventre, de la trachée, de l'arcade sourcilière et des poignets, nous t'avons fait des tests sanguins. Tu manques de tout. Affirma le médecin, sa voix était emplie d'inquiétude.

-J'avais pas pu manger ce jour là, j'avais des exams. Fallait que je révise. J'allais voir mon copain pour qu'il m'aide dans les révisions, et une voiture m'a roulé dessus. Ça arrive. Répondit-elle nonchalamment

-Capucine, ces blessures que tu avais, dans chacune, sans exception, il y avait des petits morceaux de céramique. On t'a agressée, Capucine.

-Ok, peut-être, admettons. Mais expliquez-moi le rapport avec "Hadrien, quinze ans, pro des doigts dans la gorge"...? Demanda-t-elle d'un ton presque méprisant, dédaigneux.

Le docteur soupira. Il fouilla parmi les feuilles de son calepin et lu à voix haute, en jetant de temps en temps un ragard furtif à la patiente

-Un mètre soixante-trois. Quarante-et-un kilos. Indice de masse corporelle, quinze cinq. Indice de masse grasse, dix-sept pourcents. Il marqua une pause. Elle se retenait de pleurer. Ils allaient la faire manger. Elle ne voulais, pas. Non, tout mais pas ça. La normalité minimale serait quarante-neuf kilos, IMC dix-huit cinq, IMG vingt-deux pourcents. Il marqua une nouvelle pause. Elle fixait le sol. Ses pires craintes arrivaient, elle le sentait. Il allait le dire. Ton corps a déjà commencé à grignoter tes os, et au lycée, en début d'année, on t'a fait passer un test.

-Je sais. Dit-elle en étouffant un sanglot.

-J'ai peur d'être en surpoids. Ta réponse? Toujours.

Je fais de l'exercice physique intense après avoir mangé pour perdre du poids. Ta réponse? Toujours.

Je continue à faire de l'exercice physique même blessée ou malade, dans l'optique de perdre du poids. Ta réponse ? Toujours.

Je saute des repas volontairement, dans l'optique de perdre du poids. Ta réponse ? T...

-Je sais! Hurla-t-elle avant de fondre en larmes.

Il posa son bras sur le sien, la regarda dans les yeux, la rassura un peu.

-Tu es anorexique, Capucine.

Elle se leva en trombe et couru le long du couloir, et sorti du centre à toute vitesse, en chaussette et en tunique d'hôpital.


ThinspirationOù les histoires vivent. Découvrez maintenant