Désir

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Putain. Pensa-t-elle.

Comme si ça allait pas déjà assez mal. L'autre connasse a peut-être raison, je suis peut-être un cas désespéré. Se dit-elle en jetant un regard en coin à cette caméra.

D'une démarche incertaine, elle avança vers son sac. Son petit sac en cuir noir qu'elle avait acheté chez un vendeur à la sauvette. Elle fouilla à la recherche de son téléphone et poussa un juron. C'est vrai. Le malaise, la méchanceté naturelle des gens, l'absence de morale de ce monde avaient poussé un inconnu à se servir dans ses affaires.

Elle aurait bien eu besoin d'une démonstration d'affection, là, maintenant, tout de suite. Un coup de fil, un sms, une visite impromptue, ou même la redécouverte de vieilles photos  associées à de doux souvenirs.

Un souvenir agréable, qui la rendrait presque confortable, serait celui de son amour pathologique, de sa fascination amoureuse pour celui qu'elle appelait son petit-ami.

Ils s'étaient rencontrés aux cours de catéchisme du coin. Dans cette petite ville, il n'y avait pas soixante-dix endroits dans lesquels on pouvait suivre des cours de religion. Elle avait alors dix ans.

Cela avait été instantané, pour elle. Il était le grand-frère qu'elle n'avait jamais eu. Ce protecteur inconscient de la petite vulnérable. Il l'a surnommait ma jolie ou ma belle, ce qui contrastait on ne peut plus avec les insultes de sa mère et les coups de son père.

Elle l'aimait, il était sa petite obsession secrète.

Ils avaient ensemble, et plus le temps passait, plus ils avaient ressemblé à deux paumés qui se servaient l'un de l'autre comme d'une bouée de sauvetage, d'un radeau de fortune qui pourrait les sortir de l'océan déchainé dans lequel ils avaient décidé de se baigner: celui de la douleur.

L'une avait associé l'amour à la souffrance que son père lui faisait ressentir jusqu'à il y a peu.

L'autre suivait le mouvement  inlassablement et trainait avec les gens les plus détestables.

Deux paumés en quête de bonheur. Parlez-moi d'une équipe de choc.

L'année dernière, lui avait quitté ses études, malgré de brillants résultats. Il s'était fait battre jusqu'au sang, jeté dehors et s'était trouvé renié, le tout par sa propre famille. Famille aveugle et incapable d'admettre que son cadet avait besoin de soutien extérieur. Famille fière ne voulant pas ouvrir les yeux sur la réalité. Famille jugeant tous ceux qui sortaient des rangs, quelle qu'en soit la raison. Seul et sans argent, ceux qu'il appelait ses amis lui avaient tourné le dos. Plus d'argent, plus d'intérêt. Il ne lui restait que ce petit bout d'âme, cette petite chose au coin de son esprit, ce petit ange fragile qui ne demandait qu'à être aimé.

Elle, avait été dévastée de la nouvelle. Elle n'avait vu en lui qu'un reflet d'elle même. Elle avait vu à travers lui un oiseau blessé, un enfant malade, ou un homme agonisant coincé dans un corps plein de vie.

Ils ne s'étaient pas éloignés l'un de l'autre. Ils n'étaient plus comme bouée de sauvetage, mais comme seul souffle disponible de l'autre.

En naquit un amour malsain. Elle avait  voulu le soigner, le guérir des démons qui avaient pris peu à peu possession de lui. Il voulait l'entrainer avec lui vers une mort lente.

Ils avaient fait  ce qu'ils avaient à faire. Il lui avait proposé de sortir avec lui. A ce moment, la jeune naïve était plus seule que jamais. Son père l'avait quitté pour s'installer on ne sait où, et sa mère ravagée par le chagrin trouva trop douloureux de voir sa fille faire de même.

Elle avait accepté.

Signant ainsi un contrat inhumain.

Au début, ils étaient tout ce qu'un couple aurait rêvé d'être. Ils riaient à leurs plaisanteries mutuelles aussi bidon soient-elles, ils se tenaient la main même quand ils n'étaient pas dans la rue, ils passaient des heures à se regarder et à discuter de tout et de rien...

Comme un pansement, ils semblaient s'apaiser l'un et l'autre.

Les vacances étaient arrivées et ils avaient été séparés l'un de l'autre. Il fut diagnostiqué avec une dépression nerveuse par la visite médicale qu'organisaient les directeurs de la pizzeria où il travaillait -et toujours- en temps que livreur.

Elle présentait sa tristesse à chaque message et chaque appel qu'il lui passait, si bien qu'elle sombra de même.

Sa mère avait décidé que c'en était trop. Elle l'avait enfermée dans son appartement, et avait fait installer des caméras.

"Tu n'es qu'une folle. Tu finiras en camisole. C'est de ta faute si je suis malheureuse. C'est toi qui a fait partir ton père. Moins que rien. Pétasse."

Son visage se crispa au souvenir de ces mots, qui furent les dernier que sa mère lui accorda vocalement.

Elle se souvint de l'avoir appelé ce soir là, peut être une vingtaine de fois. Elle n'avait jamais décroché. Ce soir là fut le premier soir où elle fit rentrer une lame dans sa peau volontairement.

En dernier recours, elle avait applé son amant.

Il était arrivé. Elle ne lui avait pas expliqué pas la situation et s'était simplement jetée à son cou. Il avait glissé les mains sous son haut, et elle s'était laissée faire. Docilement.

Il avait continué ainsi d'explorer chaque parcelle de son corps avec ses mains, ses lèvres. Elle ne refusait rien et se contentait de fermer les yeux et de s'accrocher à lui du plus fort qu'elle le pouvait. Il embrassait ses cicatrices fraiches, et elle gémissait. Lorsqu'il prenait dans ses mains ses courbes fines mais dessinées, elle sentait sa respiration se saccader.

Elle l'avait guidé dans sa chambre et ce soir la, leurs corps firent le reste.

A son réveil, il n'était plus là. Ce fut la première et dernière fois qu'ils firent l'amour.

Elle se leva, et observa son corps nu dans la glace. Rondouillette. Il lui avait dit qu'elle était magnifique mais elle n'en pensait pas un traitre mot.

L'après-midi, elle était allée chez lui, et pour la première fois, ils s'étaient disputés. Il lui avait dit qu'il était mauvais pour elle, elle ne voulait que son affection.

Ils avaient tous les deux bu. Elle se souvenait d'avoir crié de plus en plus fort et qu'il en avait de plus en plus assez. Elle l'avait frappé au torse. Il l'avait frappé en retour. Encore et encore. Son visage marqué d'une expression féroce. Dans la tete de la jeune fille s'étaient défilées des quantités astronomiques d'images. Les coups de son père. Sa faiblesse la veille. La douleur des coupures.

Elle était tombée sur le sol. Sur la moquette pourtant si douce. Elle avait laissé quelques gouttes de sang de son nez s'étaler dessus.

Il l'avait assenée de coups de pieds. Elle avait protégé son visage tant bien que mal avec ses bras. En ne pensant qu'à sa propre survie. Les larmes inondaient ses joues et son écharpe.

Il avait senti un sentiment de force et de domination l'envahir. Il était devenu une bête, une entité cruelle ne vivant que pour la douleur de ce petit ange déchu.

Au bout de longtemps. Combien de temps ? Il l'avait laissée. Elle était étendue sur le sol. Couverte de bleus jaunâtres sous ses vêtements. Elle avait voulu rester couchée, de peur que cela recommence si elle s'était relevée.  Pourtant, il l'avait relevée, s'était confondu en excuses confuses et inintelligibles, et l'avait foutue dehors, à la porte.

En état de choc, elle était rentrée dans son petit appartement de solitude et avait pleuré d'hystérie. Ses ailes d'ange étaient restées chez lui. Cachées sous une pile de haine.

Ça n'est pas sa faute. C'était-elle dit. C'est moi le problème. Tout le monde autour de moi souffre par ma faute.

C'est ma faute.

C'est ma faute.

Comme maintenant. se dit-elle.




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