Christine balança la tête en arrière et soupira. Elle reposa le cadre sur le petit établi et se dirigea vers la table basse. De là, elle attrapa la bouteille en verre vert qui y trônait ainsi que son verre ballon, et se servit largement, bien plus largement que ce que les conventions sociales tentent de nous apprendre. Elle s'assit gentiment sur le canapé en chantonnant de manière inaudible. De sa main libre, elle prit la télécommande et composa une combinaison. Des centaines de milliers d'images défilèrent sur l'écran en face d'elle. Elle posa ses pieds nus sur la table, l'un sur l'autre, et fit tourner le liquide rouge dans son verre. Elle sortit une balle de tennis de la poche de son jogging et visa l'interrupteur. Raté. La balle rebondit contre le mur, se heurta a l'établi et continua l'exploration de la pièce par petits rebonds au sol. Elle rit et porta le réceptacle à ses lèvres. Avant que le liquide n'ait pu toucher sa chair, un cri s'éleva par dessus le son de la télévision. Ce cri, ce pleur, qui venait de la pièce voisine, aurait fait réagir n'importe quelle femme par instinct. L'instinct maternel. Pas elle. Elle poussa un juron, termina son verre d'une traite, se leva, éteignit la lumière et hurla à travers le mur, en direction du bébé.
-Ta gueule! Tu peux pas fermer ta gueule ? Tu vois pas que je suis occupée ? Je t'ai porté neuf mois, c'est bon, on fait une pause là !
Étonnamment les cris cessèrent.
Elle fit volte face et se servit à nouveau un verre de vin. Le liquide le remplit à moitié, avant que la bouteille ne déverse plus que des gouttes.
Elle regarda son verre d'un air dépité, le bu, et saisit la bouteille.
Elle eu un sourire de satisfaction et se dirigea en titubant vers la petite cuisine. Elle avait la nausée un pas sur deux et elle se sentait pataude. Mais il fallait au moins ça.
La petite cuisine comportait au centre une table ronde, sur laquelle jonchaient une dizaine de bouteilles vides. Elle posa la sienne, et ouvrit le réfrigérateur. Courbée, les mains sur les genoux, elle scrutait les étages. Rien de solide. Elle opta pour une bière.
Elle referma le réfrigérateur d'un coup de hanche en dévissant le bouchon avec ses dents.
Elle prit une lampée, et se dirigea vers la pièce la plus sombre de l'appartement.
Elle n'était que très peu aménagée. Des toilettes, une douche des années soixante-dix, et entre les deux, un landau blanc et une table de nurserie. Elle ouvrit la porte et s'appuya contre l'embrasure.
-Si bébé peut se taire si facilement, pourquoi est ce qu'il se sent obligé de l'ouvrir ? Maman, elle t'aime beaucoup... Elle t'aime tant, oh si tu savais. Ce sont des mots bien simples à dire pour décrire une émotion si complexe. A maman aussi, on lui avait promis l'amour. Il me l'avait promis, de rester, car il m'aimait... Il m'aimait comme je t'aime. Était-ce une façade ? Un écran de fumée pour dissimuler une réalité plus sombre, dénuée d'humanité ? Bref, le bilan est que tu as en toi un pourcentage de lâcheté. Pas seulement un pourcentage, d'ailleurs. Regarde-moi. Je suis en train de parler à un môme.Elle but à nouveau. Elle fixa un moment la bouteille, qu'elle tenait à quelques centimètres de son visage.
-Tu vois ? Ça, c'est du carburant. Je devrais peut être t'en filer, un de ces quatre.
Le bébé recommença à pleurer.
-Non, non... Je t'en prie... Arrête de pleurer. Je ne comprends pas. Je ne comprends plus rien. Je sais pas ce que tu veux... J'en ai aucune idée de ce qu'il te faut. Je sais même pas m'occuper de moi... Oh, arrête, s'il te plait. Tu tues maman. Tu la tues lentement. J'aimerais comprendre, j'aimerais tant te comprendre.
Elle avança en direction du landau, et s'assit en tailleurs devant, de telle sorte que celui-ci la surplombe. Le bébé continuait son incessante plainte.
-Maman elle est complètement paumée. Elle ne peut le dire à personne, personne ne doit s'en douter. De toute façon, c'est bien plus facile de mentir droit dans les yeux des gens plutôt que de leur annoncer qu'ils ont ignoré votre malheur durant tout ce temps. Si malheur il y a. Mais arrête de pleurer...Je vais prendre soin de toi, regarde.
Elle plaça le biberon dans le berceau et les cris du petit être cessèrent.
-La. Toi aussi tu peux boire maintenant, dit-elle en se rasseyant. Regarde, tu vois, je prends soin de toi. Je suis ta maman. Et pourtant, si je révélais mon secret à quelqu'un, je me ferais traiter d'alcoolo et je te perdrais. Oh, je ne suis pas si attachée à toi, petite chose, mais je refuse qu'on m'insulte comme ça. C'est pas ma faute. Les gens me regarderaient très très mal. Je veux que les gens me regardent comme les autres. Je veux être un point gris dans la foule. Je veux plus que les gens soient attachés à moi. Je le désirais tellement par le passé, mais maintenant, c'est trop de pression. J'ai tant besoin de bienveillance. Il faut toujours donner une image retouchée de soi, comme sur une photo. Les photos, c'est le plus affreux, c'est pour ça que j'en prends pas de toi. Tu te verrais plus tard et tu te dirais que tu étais mieux. Plus heureux, plus mince, plus en forme, moins dépravé, moins raté. Alors que tu l'étais tout autant, sauf que tu t'en rendais pas compte. J'ai toujours été comme ça. Je suis une erreur. Une horrible erreur qui en crée encore et encore. Tu n'en es pas une, tu es la plus belle chose qui me soit arrivée, soit-disant. Tu ruines mon calme, brise ma tranquillité, mais je suis censée t'aimer. Même ça, je n'y arrive pas bien. Je rate tout. Une erreur, erreur, erreur, erreur. Je veux juste comprendre, faire en sorte que ça cesse. Faites que ça cesse. Juste une erreur de parcours, une simple erreur.
Elle enfouit la tete dans ses bras et les cris reprirent de plus belle.
https://aide-alcool.be/
http://www.psychologies.com/Famille/Maternite/Accouchement/Articles-et-Dossiers/Baby-blues-la-petite-deprime-de-la-naissance
https://naitreetgrandir.com/fr/etape/0_12_mois/viefamille/fiche.aspx?doc=ik-naitre-grandir-maman-depression-postpartum-babyblue
http://www.alcool-info-service.fr/L-alcool-et-vos-proches/aide/alcoolique-aide#.WtZO1pcuDcs
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Thinspiration
Short StoryCe monde est rempli de questions. A quel point puis-je me rendre toute petite ? A quel point puis-je me restreindre ? A quel point puis-je... maigrir ? Capucine, c'était son nom. Et elle le portait bien. Si fragile... Cover par: @i-thriller19