Partie 10

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Sophie

C'est fait. Quinze ans de secret, de non-dit, de haine, de souffrance et de regret. Est-ce que je me sens soulagée, plus légère ? Non, absolument pas. C'est même pire. En enfouissant ce sombre secret au fond de moi, j'avais fini par le dompter, l'enterrer loin de moi mais sa révélation vient de changer la donne. La douleur, la confusion, les regrets tout me revient en pleine tête avec la même intensité que cet été-là. Mais c'était mon unique recours pour éloigner définitivement Vincent de moi. On ne pourra jamais traverser cette épreuve, on ne peut pas reconstruire un couple après un tel gâchis. J'espère juste que cette révélation ne va pas le pousser à boire. Je suis certaine que ma mère va bien le surveiller, il ne faut surtout pas qu'il rechute. Je m'en voudrais tellement s'il recommençait à boire à cause de moi. Je me sens vide et éparpillée. Vide car j'ai libéré ce que j'avais enfoui au plus profond de moi. Je ne me sens pas plus légère mais vide comme si la divulgation de ce secret avait emporté une part de moi. Eparpillée car j'ai dû mal à analyser ce que je ressens réellement. Je sais ce que je devrais ressentir : du soulagement, la fin de l'angoisse, pouvoir enfin faire le deuil de cet enfant et espérer reprendre une vie normale mais en ce moment, les sentiments se bousculent sans que je puisse les comprendre. De la tristesse, du regret, un peu de soulagement, de l'inquiétude, de la culpabilité et aussi de la joie. Oui de la joie car même si j'ai réussi à repousser Vincent, mon cœur a battu plus fort lorsqu'il a annoncé que c'est moi qu'il désirait. Juste moi. Ce maelstrom de sentiments m'épuise et les larmes ne s'arrêtent pas de couler. Je n'ai même pas la force de monter mon escalier donc je reste assisse sur mon lit au rez-de-chaussée. On toque à ma porte.

- Sophie, c'est Lola. Tu vas bien ma chérie ?

- Ce n'est pas le plus beau jour de ma vie mais ça va aller.

- Tu veux que je rentre et que je reste avec toi ?

- Non, Lola. En fait, j'ai besoin d'être seul.

- Ok. Essaye de dormir. A demain.

Lola est une amie en or, la meilleure. Sans elle, il y a quinze ans, j'aurais sûrement fini par faire une connerie mais elle ne m'avait pas abandonné. Elle venait chaque week-end m'appelait tous les jours même quand j'étais quasiment mutique. L'amitié de Lola m'a sauvé la vie à cette époque mais maintenant, il faut que j'arrive à enfin passer à autre chose. L'annoncer à Vincent était la première étape et après lui avoir pardonné, il va falloir que j'arrive à me pardonner.

J'ai dû m'assoupir car ce sont des coups à la porte qui me réveille. Le soleil n'est pas levé et mon réveil indique 3 :30. Je ne bouge pas et j'entends la voix de Vincent derrière la porte.

- Sophie, je t'en supplie, ouvre-moi. J'ai besoin de te voir, j'ai besoin de te parler. Ouvre-moi Sophie.

Dans mon lit, je me retrouve paralysée. Je ne veux plus en parler, j'ai dit ce que j'avais à dire et maintenant, j'aimerais juste qu'on n'en parle plus jamais.

- Sophie, laisse-moi au moins te tenir dans mes bras. Laisse-moi au moins ça. Je n'ai pas été là il y a quinze ans mais laisse-moi être avec toi maintenant. Sophie ?

Je ne peux toujours pas bouger et j'ignore si je veux le laisser rentrer ou qu'il abandonne et s'en aille.

- Je ne peux pas dormir, je ne peux pas être loin de toi cette nuit alors je vais simplement m'asseoir devant ta porte. Toi, tu n'as peut-être pas besoin de moi mais moi, j'ai besoin d'être près de toi. Tu es tellement plus forte, plus courageuse que moi.

J'entends le bois de ma porte craquer tandis que Vincent s'y adosse pour s'asseoir au sol. Quelques minutes passent dans le silence le plus complet et mon esprit se déchire. Je veux me lever et à la fois, je veux rester allonger dans ce lit.

Le pied à l'étrierOù les histoires vivent. Découvrez maintenant