Le pied à l'étrier

Partie 3

Sophie

Je marche comme si j'avais le diable aux trousses, mes poings sont si serrés contre mes jambes que mes doigts sont blancs. Je n'y arrive pas, toute cette colère déborde de moi dès qu'il ouvre la bouche. Mon idée était parfaitement stupide, j'aurais dû lui donner Magnifique et enterrer tous ses sentiments bien profonds. Je ne supporte pas son petit sourire, son regard qu'il pose sur moi, même sa gentillesse avec mon groupe m'agace alors que c'est moi qui le lui est demandé. Ma logique s'est fait la malle : je veux qu'il réussisse et je veux qu'il souffre, qu'il se sente mal. Qu'il se sente comme moi en fait et cette constatation me stoppe net. Ca ne me ressemble absolument pas, depuis quand je souhaite que quelqu'un d'autre souffre. Est-ce que ça allégera ma propre souffrance ou est-ce que ça la rendra plus supportable ? Aucune de ses deux réponses. Alors pourquoi ? Ma seule certitude c'est que je veux qu'il parte et surtout qu'il ne revienne jamais dans mon sanctuaire mais ça ce n'est pas possible. Il sera là demain et il va falloir que je comprenne ce qu'il m'arrive pour essayer d'éviter de répéter l'erreur d'aujourd'hui.

J'atterris dans mon appartement sans avoir croisé personne et j'en soupire d'aise. Je n'aurais supporté aucun interrogatoire. Ce moment seul va me permettre de me reprendre avant le repas de ce soir. Je me fais couler un bain, c'est un luxe que je ne m'accorde pas souvent mais là, je crois que c'est le bon jour pour paresser quelques minutes dans une baignoire pleine de mousse. Je me déshabille sans m'attarder. Mon corps n'est pas vraiment mon ami. Comme la plupart des filles qui ne sont pas des mannequins de Victoria's secrets je ne me trouve pas assez fine, j'ai des fesses volumineuses et une culotte de cheval. Mon visage rond avec des taches de rousseur sur les pommettes et sur le nez me donne l'air d'une gamine. Bref, je manque complètement de sex-appeal. Depuis Vincent, je n'ai eu que quelques aventures souvent avec des animateurs mais jamais rien de sérieux. L'amour n'est définitivement pas fait pour moi. Le reste de ma vie est plus que satisfaisante, j'ai une famille aimante, des amis formidables et un métier qui me passionne. Je suis heureuse ainsi. Mon immersion dans la baignoire me plonge dans la félicité et Vincent revient dans mes pensées Il m'a surprise aujourd'hui, je ne pensais pas que cette première séance se passerait si bien. Magnifique a tout de suite était à l'écoute, il ne m'a pas semblé nerveux de changer de cavalier. En plus, le couple qu'il forme marche bien, ils avaient de l'allure ensemble. Sur les terrains, ils seraient splendides. Maintenant, il faut que les résultats suivent et si je fais bien mon boulot, ils devraient être fins prêt pour septembre. Enfin si j'arrive à faire mon boulot sans agir comme une hystérique. Et ça, ce n'est pas gagné. Les pensées se bousculent dans ma tête sans que je ne trouve de solution à mon problème. Je vais devoir gérer ma relation avec Vincent au jour le jour et surtout me mettre au yoga pour espérer canaliser mon ressentiment à son égard. A l'heure du repas, une équipe digne de la Gestapo m'attend avec un milliard de questions sur la séance. Après un descriptif précis de la séance mais non de notre altercation, ma mère explique que Vincent est venu la saluer.

- Je lui ai trouvé une petite mine. J'ai l'impression que la chute de son écurie l'inquiète beaucoup. Il avait le tient terreux et même ses yeux étaient cernes alors que ce garçon a toujours eu des yeux pétillants.

En mon fort intérieur, j'espère que ce n'est pas moi qui l'ai rendu ainsi.

- C'est vraiment devenu un beau gaillard, s'exclame Antoine. Aïe !

Lola vient de lui balancer un coup de coude dans les côtes.

- C'est l'ennemi et on ne pactise pas avec l'ennemi.

Ma meilleure amie saura toujours me faire rire.

- Mais il va vivre avec nous pendant deux mois, je ne vais pas l'éviter éternellement, soupire-t-il. Ca va me faire un copain avec qui boire des bières après le travail, vous vous êtes des filles.