Partie 6

304 29 8
                                    


Sophie

Le vétérinaire et Antoine sont partis depuis un moment mais malgré l'heure, je n'arrive pas à me résoudre à les séparer. Vincent pleure toujours sur le corps de Gitane. Je suis restée un moment avec eux mais je me suis levée quand le vétérinaire est parti. Même ce gros dur avait la larme à l'œil, Vincent a tenu à lui serrer la main. Le vétérinaire lui a assuré qu'elle était partie dans les meilleures conditions, entourée d'amour.

Il arrive régulièrement qu'on doive dire adieu à l'un de nos pensionnaires et même si je suis triste à chaque fois, je dois avouer que c'est très dur aujourd'hui. Comme la fin d'une époque, Gitane représentait beaucoup à mes yeux et surtout à ceux de Vincent. Le voir si triste, si brisé, l'entendre lui parler, ça m'a déchiré le cœur car je me suis aperçu que le Vincent de mon enfance, le Vincent que j'ai bien connu, le Vincent que j'ai follement aimé était toujours là sous cet homme sûr de lui et arrogant. Antoine a laissé une bâche pour qu'on la recouvre. Il s'occupera demain matin d'embarquer le corps et le disposer loin des enfants avant que l'équarrisseur vienne.

Avec courage, je m'approche de Vincent. Ce dernier a dû m'entendre.

- Je sais qu'il faut que je me lève, chuchote-t-il toujours couché sur le corps de la ponette. Mais je n'y arrive pas. La laisser seule, ici, je n'y arrive pas.

Je viens me mettre à côté de lui.

- Et si seulement, tu te redressais pour l'instant pour qu'on puisse se parler en se regardant. Je pense qu'elle aimerait qu'on continue à parler d'elle. Elle adorait être le centre d'attention. Une fois, lors du premier été où tu es venu à Plesne, ta première semaine, elle t'a fait tomber.

Vincent se relève et essuie son nez. Ses yeux bleus sont cerclés de rouge.

- C'est bien simple la première semaine, je n'ai fait que tomber, répondit-il la voix enrouée.

- Donc tu étais par terre et elle s'est mise à galoper comme une furie. Ta monitrice, je ne me souviens pas de son nom, ...

- Muriel.

- Oui, Muriel, elle lui courait après, essayait de la piéger mais Gitane ne se laissait pas faire et elle continuait à galoper au milieu des autres poneys et des cavaliers.

- Ton père est même arrivé pour l'aider, rajoute Vincent un sourire aux lèvres car c'était une scène vraiment amusante pour des enfants de voir un poney narguer ainsi deux adultes.

- Oui mais ils n'ont jamais réussi à la récupérer. Ils ont dû faire évacuer les poneys de la carrière pour qu'il ne reste qu'elle mais pourtant elle continuait à leur échapper mais elle a fini par s'arrêter et elle est venue s'arrêter à côté de toi.

- C'est vrai, se rappelle-t-l, et je suis remonté sur son dos.

- A l'époque, elle t'avait déjà choisi.

Je lui tends la main et il la saisit. Il paraît beaucoup plus jeune avec les yeux cerclés, les traits tirés et les cheveux en bataille mais il est toujours aussi beau.

- Il va falloir la laisser partir Vincent. Elle n'est plus là maintenant et elle ne voudra sûrement pas que tu la pleures ainsi. Gitane préférerait que tu gardes les bons moments comme dernier souvenir et pas le fait d'avoir pleuré sur son corps durant des heures.

- Tu dois me trouver complètement con de me mettre dans un état pareil.

- Pas du tout, certaines personnes disent que ce sont juste des animaux qu'ils ne ressentent pas les mêmes émotions que nous et c'est vrai scientifiquement parlant, ils ont raison. Mais les émotions qu'on ressent pour eux et ce qu'ils nous donnent, c'est de l'amour. Vous vous aimiez tous les deux et même le temps n'a pas réussi à détruire cet amour alors je comprends parfaitement Vincent mais après la douleur, il faut commencer à avancer, à aimer de nouveau car il y a d'autres chevaux qui attendent de partager ça avec toi. Ca sera différent de ce qui t'unissait à Gitane mais ça sera aussi fabuleux.

Le pied à l'étrierOù les histoires vivent. Découvrez maintenant