Partie 18

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Sophie

L'été bat son plein. Nous sommes au milieu du mois d'août et, grâce à Tristan, le mois de juillet s'est déroulé à merveille. Je pensais que les groupies de Vincent seraient déçues voir en colère qu'il ne soit pas présent mais leur petits cœurs tous mous avaient été conquis par le jeune moniteur aux faux airs de surfeur californien. Les cavaliers de l'écurie de Vincent qui étaient venus avec leurs chevaux ou poneys étaient ravis par leurs séjours et avaient demandé à revenir pour les vacances de la Toussaint. Comme l'été dernier, nous alternions entre cours poney et chevaux avec Tristan. J'aimais bien ce fonctionnement. Elisa et les jumeaux n'avaient pas arrêté de se lancer des défis de toutes sortes et j'avais dû intervenir à de multiples reprises pour leur éviter de se casser le cou. Elisa avait fait des progrès monstrueux et même si elle n'était pas arrivée sur le podium des championnats de France poney dans sa catégorie avec Capitaine Phébus, elle avait néanmoins eu droit au tour d'honneur pour sa cinquième place. Sa sœur n'avait pas démérité non plus en récoltant une huitième place sur 180 partants. Tristan avait même eu des offres d'achat pour le poney aux origines bien modestes. De plus, Elisa était pleinement épanouie et ça me fait chaud au cœur de la voir évoluer ainsi. Le seul changement par rapport à l'été dernier, hors l'absence de Vincent, était que je n'avais pas maintenu les spectacles du vendredi soir. Je ne m'en sentais pas la force ni même l'envie. La grossesse de Lola la met à bout mais dans à peine quelques semaines, les jumelles devraient pointer le bout de leur nez pour notre soulagement à tous. Lola est hors de contrôle pour cette seconde grossesse, elle alterne les rires et les pleurs en une fraction de seconde. Antoine essaye de canaliser au mieux sa délirante épouse tandis que les jumeaux s'éclipsent avec les enfants du centre et ne rentrent plus que pour dormir. La construction de leur maison avance bien et ils devraient pouvoir y emménager avant Noël. Ma mère appréhende Facebook avec bonheur, diffusant régulièrement des photos du centre, des chevaux et des enfants pour le grand bonheur de leurs parents. Tristan est comme un poisson dans l'eau parmi nous et je ne remercierais jamais assez Vincent pour cette intervention divine. En clair, les enfants vont bien, les chevaux et les poneys sont tous au top. Le seul bémol : moi.

Je n'arrive pas à me mettre dans l'ambiance cette année et j'ai une bonne raison à cela. Il ne s'agit pas de l'absence de Vincent mais de moi ou plus particulièrement de mon corps. A peine les enfants venaient de débarquer au centre au début de juillet qu'un matin avant même de prendre mon petit déjeuner, j'ai été prise de nausées. Après avoir vomi, j'ai mis ça sur le compte du repas d'hier soir mais durant le reste de la journée, les symptômes se sont amplifiés. Ces symptômes, je les avais déjà eus. Quinze ans auparavant. A peine mes cours finis, j'avais filé à la pharmacie mais avant même d'uriner sur ce test, je connaissais la réponse. J'étais enceinte. Comment j'avais pu tomber enceinte en prenant la pilule ? Et là, flash-back, lors du gala des éperons après ma discussion animée avec Agata, j'avais vomi alors que j'avais pris ma pilule moins d'une heure auparavant. Les événements de cette soirée s'étaient enchaînés tellement vite que ça m'était complètement sorti de l'esprit. Mes ovaires visiblement n'avaient pas loupé le coche. Encore une fois, j'étais enceinte de Vincent par « accident ». Cette nouvelle m'avait littéralement assommée. Pendant trois jours, je m'étais comportée comme un automate en prétextant une intoxication. Puis le dimanche était arrivé et j'avais laissé ma mère gérer les arrivées/départs pour faire le point.

Je nageais en pleine confusion mais je savais une chose : je n'avorterais pas une seconde fois, je n'y survivrais pas. Matériellement, je pouvais élever ce bébé et plus que ça, je le voulais. J'étais prête pour lui mais je n'étais pas son seul parent. Si j'annonçais ma grossesse à Vincent, je savais sans l'ombre d'un doute ce qui allait se passer. Nous deviendrions sa priorité et il pouvait dire adieu à son rêve de jeux olympiques. D'après mes calculs, j'accoucherais en mars. Le généraliste que j'étais allé voir me l'avait confirmé. Les JO se dérouleraient l'été prochain dans un an. Un an, douze mois, ce n'était pas tant que ça. Entre interrompre ma grossesse et mentir à Vincent, mon choix avait été rapide. Parfaitement égoïste sûrement mais je ne pouvais renoncer à cet enfant et je ne pouvais pas non plus interrompre la merveilleuse ascension de Vincent. Ma grossesse, je l'avais espéré, aurait dû être source de joie pour mes proches mais je savais que ma décision allait sûrement doucher leur enthousiasme. En tout cas, j'avais décidé de ne pas révéler cette grossesse avant trois mois révolu car si je faisais une fausse couche, je voulais que personne n'en sache jamais rien. Je suis forte bien plus forte que l'adolescente que j'étais et surtout, cette fois, je suis prête. Cela fait donc plus d'un mois que je teste tous les remèdes de grand-mère pour éviter les nausées et que j'essaye de prévoir mes sautes d'humeur (je comprends désormais parfaitement ce que traverse Lola). Heureusement je n'ai encore aucune forme à cacher et je chéris ce secret pour l'instant. J'ose à peine y croire. Par contre, je ne monte plus qu'Apollon. Mon cheval, même par accident, ne me laisserait jamais tomber mais je suis loin d'être aussi sûre sur les autres équidés. Je veux tout mettre en œuvre pour que cet enfant vienne au monde. J'ai longuement surfé sur internet et certains médecins disent qu'on peut continuer à monter à cheval jusqu'au cinquième mois. Pour ma part, je m'arrêterais dès que l'été prendra fin. J'ai confié toutes les balades des cavaliers de bon niveau à Tristan et je me contente des randonnées avec les poneys ou les débutants. J'ai bien vu que Lola tiquait mais un coup de pied visiblement bien placé de l'une des jumelles a détourné son attention. J'adore déjà ses filles.

Le pied à l'étrierOù les histoires vivent. Découvrez maintenant