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Je me dirige vers l'accueil, la main tremblante en tenant mon carton de rendez-vous. La dame derrière le comptoir semble absorbée par ses papiers, sans même lever les yeux pour me regarder. 

- 3ème étage, on viendra vous chercher, murmure-t-elle sans émotion.

Son ton est aussi plat que ses gestes, une monotonie qui semble absorbée par l'ennui ou la fatigue. C'est une interaction banale, mais cela me frappe par sa froideur. Je sais que ce n'est jamais simple de rencontrer un nouveau médecin, surtout après avoir été ballottée de ville en ville, de pays en pays. Chaque fois, c'est comme recommencer à zéro, essayer de s'adapter à un nouvel inconnu qui tente de comprendre des nuances que je suis fatiguée de répéter.

Je prends ma carte et me dirige vers les ascenseurs, les pensées vagabondant autour de la série interminable de consultations médicales que j'ai eues au fil des années. Chaque nouvelle rencontre est une épreuve, un examen de mon état intérieur que je préfèrerais garder pour moi.

Les portes s'ouvrent sur un homme en blouse blanche, debout devant un bureau. Il me sourit avec professionnalisme, mais je sens une distance dans son regard.

- Bonjour, je suis le Dr Rotschild. C'est moi qui vais m'occuper de vous aujourd'hui.

Je pense avec amertume que la promesse d'une escorte semble plus une surveillance qu'une simple annonce. Peut-être craignent-ils que je tente de fuir. Ce n'est pas la première fois que j'ai ce genre de pensée, et ce n'est pas la première fois non plus que je me sens surveillée, jugée, comme si ma vie entière était une évaluation constante.

Je le suis jusqu'à son bureau, où il m'invite à m'asseoir sur une chaise en face de lui. La pièce est remplie d'une odeur d'antiseptique et de papier, les murs décorés de diplômes et de certifications.

- J'ai examiné ton dossier, commence-t-il en feuilletant quelques documents. Même si nous ne nous connaissons pas encore bien, je suis inquiet pour toi. Tu as traversé plusieurs épisodes de dépression, et il semble que tu aies développé des comportements autodestructeurs. La dernière fois que nous avons dû te réanimer remonte à environ un an, n'est-ce pas ?

Je hoche la tête en signe de confirmation, sentant un poids lourd s'abattre sur mes épaules. C'est toujours difficile de parler de ces événements, même quand il s'agit simplement de hocher la tête en réponse à une question.

- Je vois également que tu n'as pas parlé depuis huit ans. Les dossiers mentionnent aussi des troubles alimentaires, notamment l'anorexie. Avec un poids de 43 kilos pour 1,70 mètre, ce n'est pas rassurant. Tu es donc en état d'anorexie, comme le confirment tes antécédents médicaux et ton apparence actuelle.

Comme première rencontre, c'est super claire au moins. 

J'ai entendu ce discours des centaines de fois. Les médecins sont experts en cette langue froide et clinique qui décompose votre existence en termes de pathologies. Leur tact est souvent glacial, comme si leur objectivité pouvait effacer les émotions que leurs mots provoquent. Ils énumèrent les faits avec une détachement professionnel qui me laisse toujours un goût amer.

- Aujourd'hui, nous allons procéder à un examen de routine pour évaluer ta condition générale. Ensuite, je souhaiterais examiner tes cordes vocales à l'aide d'une radiographie. Comme tu ne parles plus depuis si longtemps, il est possible qu'elles aient commencé à s'affaiblir. Si nous ne prenons pas des mesures, il y a un risque réel que tu ne puisses plus parler du tout.

Les mots du Dr Rotschild résonnent dans ma tête comme un écho de ce que j'ai toujours su au fond de moi : mon silence, bien qu'il ait été une forme de protection, est en train de me nuire. Le fait de ne pas parler pendant huit ans a laissé des séquelles invisibles mais dévastatrices. Je m'efforce de rester calme pendant l'examen, même si mon esprit est en proie à une tempête de pensées et d'angoisse. L'examen se déroule avec une routine clinique. Je constate avec un léger soulagement que j'ai pris quelques kilos récemment. Les formes qui réapparaissent sur mon corps sont un signe que je commence peut-être à me stabiliser un peu, mais ce soulagement est teinté d'incertitude. 

Détruite.Où les histoires vivent. Découvrez maintenant