15.

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Je portai une bouchée de viande à ma bouche. Assis en face de moi, Harry et Carl riaient doucement. Qu'est-ce qui m'a pris au juste d'accepter de dîner avec mon petit-ami et son frère qui se trouve être mon patron déjà ? Ah oui, les yeux doux de Harry. Ça faisait dix minutes qu'on était passés à table, dans la salle à manger de Harry. Il bu une gorgée d'eau et me sourit.

Eh dis, Carl. C'est vrai qu'une fois t'as passé deux heures aux toilettes alors que des clients t'attendais ?

Je m'arrêtai de mâcher. Je risquai un regard vers mon patron. Il me toisait.

Ouais, grogna-t-il.

Mince, dit Harry faussement désolé. Et tu sais pourquoi ?

Non. Un abruti de serveur a dû faire une erreur au Café. Et mettre de la cannelle. Ou je sais pas. Tu sais que j'y suis allergique.

M'ouais. Tu crois pas que c'était des laxatifs ?

J'étouffai un cri d'horreur, un bruit sourd provenant du fond de ma gorge. Je me mis à tousser pour cacher mon malaise. Harry n'était pas en train de balancer que j'étais la coupable pour le coup des laxatifs, quand même ? Je posai mon regard sur lui, un sourire fier le long de ses lèvres. Mais si, c'est ce qu'il faisait. La sale enfoiré.

C'était Ana. Vire-la.

Carl s'étouffa. Je ne sus pas si c'était l'aveu de son frère ou l'ordre qu'il venait de lui donner. Tout ce que je savais, c'était que son teint tournait doucement au violet. Moi, j'étais livide. Et paralysée. Je voulais protester. De tout mon être mais mon cerveau ne l'entendait pas de cette oreille.

Qu'est-ce que tu dis ? cria Carl en me regardant.

Je ne croisai pas son regard. Si je le faisais, je m'évanouirais sur me champ.

Oh, ajouta Harry et j'eus envie de l'étrangler ou de lui arracher la langue. Les deux. T'as une rayure au dessus de ton rétro droit. Et ça aussi, c'est Ana.

Je sentis les larmes aux bords de mes yeux. Carl fulminait. Il se leva d'un bond et j'eût la sale impression qu'il voulait me frapper.

Et tu sais le dossier Davis qui s'est envolé ? C'est Ana qui avait ouvert la fenêtre de ton bureau.

T'es virée, articula-t-il d'une voix lente et dure. Et estime-toi heureuse de te taper mon frère !

Je lâchai un glapissement. Il claqua la porte de l'appartement de Harry. Je clignai des yeux à plusieurs reprises. Je déglutis, la gorge serrée. Il se leva sans un mot. Je fis de même, d'un geste brusque.

J'arrive pas à croire que t'aies fait ça, hurlai-je.

Tu détestes ce boulot, Ana, arrête, dit-il en levant les yeux au ciel.

Et alors ? En quoi ça te regarde ? En quoi ça te donne le droit de me faire virer ?

Je t'ai juste rendu service, rétorqua-t-il en haussant les épaules. T'aurais jamais osé démissionner.

Il me tourna le dos et mis son assiette dans le lave-vaisselle. J'étais hors de moi. Littéralement. Je me vis attraper un verre qui se trouvait là et le jeter contre le mur. Il s'écrasa en un tas de petits morceaux. Harry se tourna brusquement vers moi.

Parce que j'ai besoin de cet job, Harry. J'en ai besoin.

Je pleurai. De rage, de tristesse, de déception. Ma voix craqua.

Te voiles pas la face. Ce boulot c'est qu'un prétexte. Tu te caches derrière parce que tu veux pas tenter ta chance. Tu veux devenir animatrice télé, non ? Alors bordel qu'est-ce que tu fous dans la boîte de Carl ? Elle est pas là ta place, Ana. Et tu le sais.

Je le giflai. Les regrets me serrèrent le cœur à la seconde où ma main entra en contact avec sa peau. Ses yeux s'assombrirent. Je ne savais pas trop ce que c'était. Mais je m'en fichai. Il n'avait aucun droit de me retirer ce boulot. Petit-ami ou pas. On ne parle pas de ça. C'est de l'histoire ancienne, bordel de merde. Je pris rapidement mes affaires et claquai la porte de toutes mes forces.

Le temps que j'arrive chez moi, je ne savais même plus pourquoi je lui en voulais. D'avoir tout balancé à son frère ou d'avoir raison ? C'était vrai dans le fond. Je savais bien que je n'avais rien à faire dans cette boîte. Mais qu'est-ce que je pouvais faire d'autre ? Animatrice télé ? Même pas en rêve. Littéralement. Le truc, c'est que je ne savais pas quoi faire. Rien ne m'intéressait au point d'en faire mon métier. Alors je n'avais aucune raison de lâcher mon poste chez Carl. J'hurlai de rage. Je n'avais plus rien désormais. Plus de boulot et plus de petit-ami. En une soirée, j'avais perdu la chose que je détestais le plus au monde et la personne que j'aimais le plus.

Je pleurai. Toute la nuit. Et le lendemain. Et le jour d'après. Harry ne chercha pas à me joindre. À quoi bon ? Je ne lui aurais pas répondu de toute façon. Ou peut-être que si. Histoire de lui dire à quel point je le détestais d'avoir tout gâcher. Et aussi pour entendre sa voix. Surtout pour entendre sa voix.

Cinq jours passèrent. Au lieu de s'estomper, la douleur se fit de plus en plus forte. Je postulai à plusieurs offres d'embauche. Je ne supportai plus de rester chez moi dans la pénombre de mes rideaux.

Et le téléphone sonna. Non, ce n'était pas Harry. C'était Maman. Elle voulait savoir comme j'allais et pourquoi je ne venais plus manger à la maison. Je n'y étais pas retournée depuis l'épisode du Nouvel An. Elle dit que je lui manque. Moi, c'est Harry qui me manque, maman.

Ma sonnerie retentit une nouvelle fois deux jours plus tard. Toujours pas Harry. La bonne nouvelle, c'est que j'ai du boulot.

catchit // hsOù les histoires vivent. Découvrez maintenant