Voilà bientôt deux ans que Phœbus était son écuyer. Âgé à l'époque de vingt-trois ans, Chilpéric avait recueilli Phœbus à son service, alors que celui-ci mendiait pour quelques bouchées de pain dans un pauvre village à l'ouest du continent dont il ne se souvenait plus du nom. Son devoir le menait à Grand-Port, ville portuaire des côtes ouest, afin d'y recueillir un parchemin sacré pour son roi. Chilpéric ignorait la raison pour laquelle son souverain l'avait spécifiquement envoyé lui, seul, dans une requête aussi minime. Mais le roi le tenait en haute estime et lui faisait parfaitement confiance. Chilpéric avait toujours refusé d'entrer dans la Garde Royale, préférant bien trop les expéditions dans le but de combattre les ennemis de son roi, et dans son for intérieur de l'Humanité – et après tout, la loi de Sa Majesté l'en empêchait.
Il avait alors rencontré Phœbus, pauvre garçon à l'aspect cachectique, âgé tout juste de treize ans, vêtu d'une tout aussi maigre tunique beige. Il avait des cheveux blonds comme la lumière du soleil, une peau blanche comme la neige et des yeux d'une couleur orange unique.
Le Chevalier Blanc était habitué à croiser sur les routes des quelques villages du continent qu'il avait pu traverser par le passé des enfants, des femmes ou encore des hommes aussi faméliques ; mais pour une raison inconnue, il s'était porté à ce garçon et lui avait donné deux wulfoalds d'or, une véritable fortune pour le modeste peuple de l'Ouest. Le jeune homme avait d'abord cru que l'on se moquait de lui, n'avait jamais vu une bourse aussi opulente, puis avait été subjugué par le brillant de l'armure blanche du Chevalier et la robe crème de son cheval.
— Merci, sir, lui avait-il dit en souriant, dévoilant des dents étonnamment blanches.
Chilpéric était resté bouche bée devant le garçon : une étrange force se dégageait de lui, rebroussant tous les poils de sa peau protégée, pour autant sans qu'il pût dénoter la nature précise de l'énergie atypique. Ne laissant point transparaître sa décontenance, le Chevalier lui avait lancé :
— Tu es seul, petit ? Où sont tes parents ?
— Voilà trois années que je n'ai plus de parents, sir...
— As-tu un endroit où dormir ?
— Je me cache dans la paille des fermes voisines afin de me réchauffer en cet hiver, sir. (Une grimace avait étiré ce faciès creusé par la malnutrition.) Non, je n'ai pas de foyer.
Cette simple vérité avait fait naître une hargneuse fâcherie dans le cœur de Chilpéric ; et pourtant il ne comprenait guère pourquoi diable le cas de ce garçon l'accaparait particulièrement. Jamais ne s'était-il préoccupé du sort des multiples malheureux sur la route autant que celui-ci. Or, en cet instant, il avait su que le destin de ce gamin singulier était désormais intimement lié au sien.
— As-tu une quelconque idée de quoi faire ?
— Trouver suffisamment d'argent pour me payer de quoi manger, sir, et une couche où dormir au chaud. Ne pas mourir de froid ou de faim... sir.
Il parle bien pour un va-nu-pieds... Pauvre garçon... Je ne peux le laisser ainsi !
Seulement pourquoi lui, spécifiquement ?
— Viens avec moi, petit. Je vais te payer un repas chaud. Je suis sûr que tu n'as pas mangé convenablement depuis des jours.
— Je ne puis accepter, sir. Ne perdez donc pas votre temps avec un lépreux de ma sorte. Vous m'avez l'air bien trop important pour vous mêler aux culs-terreux de Morneterre.
Chilpéric n'avait su si cette remarque était une critique ou, au contraire, de la politesse à tout égard. Pourtant...
— Refuserais-tu l'aide d'un émérite Chevalier du roi Wulfoald III ?
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Les Trois Gardes, Tome I : Les Prémices du Mal [SOUS CONTRAT D'ÉDITION]
FantasyQuatre-vingts ans de paix se sont écoulés depuis que les Trois Gardes, commandées par le souverain Wulfoald II le Conquérant, vainquirent les troupes de l'Empereur des Démons, Adramalech. Aujourd'hui encore, la crainte de leur retour est plus que ta...