— Et me voilà bientôt Chevalier, dit Carloman à voix haute.
Le visage de Catharina se fit plus net que jamais. Il ne l'avait effectivement jamais revue, n'avait pas tenu sa promesse, n'avait jamais pu la remercier comme il aurait dû.
Il se saisit du couteau caché sous sa tunique, celui qu'il avait pris à son frère avant de partir et qu'il gardait en tout temps sur lui malgré le Code, là la dernière attache avec sa famille. Il n'avait jamais su ce qu'il était advenu par la suite, et quelque part s'en contrefichait. Personne n'avait cherché à le retrouver, et jamais n'avait-on fait état du meurtre des deux aînés, encore moins de la disparition du cadet – une preuve évidente de sa culpabilité.
Voilà bien longtemps qu'il n'avait guère repensé à tout cela. Pourquoi maintenant ? À cause de la jalousie qu'il éprouvait envers Phœbus, et qui avait explosé. Elle menait toujours au pire. Il n'avait jamais parlé de son passé à quiconque, ni à Phœbus, ni même à son Chevalier, mentor et ami, sir Aalongue.
Le craquement d'une brindille derrière lui l'arracha à ses pensées. Il fit volte-face et découvrit le prince Achard. Le futur roi avait le visage blême.
— Prince Achard, le salua Carloman en orchestrant une révérence. C'est un honneur que de vous voir ici.
Le fils du roi s'approcha.
— Bonsoir. Vous êtes Carloman, n'est-ce pas ? L'écuyer de sir Aalongue et l'ami de Phœbus ?
— Lui-même, majesté.
— Majesté ? Point encore. Lorsque mon père mourra, mais pas avant. Et cessons les convenances. Nous pouvons nous tutoyer, si vous le voulez. Histoire de faire plus ample connaissance et pourquoi pas devenir ami, ce dont je manque cruellement entre ces murs. Après tout, les amis de Phœbus sont également les miens.
Carloman accepta.
— Que... viens-tu faire ici ? (Le tutoiement lui semblait empesé en bouche, vis-à-vis du prince.)
— Prendre l'air, penser, respirer, loin de toute la folie que sont les repas avec ma royale famille. (Une critique ? Assurément !) Et toi ?
— De même. Pour tout t'avouer, une petite algarade a éclaté avec Phœbus, et je voulais venir y réfléchir en paix, loin de tous.
— Veux-tu que je te laisse seul ?
Carloman secoua la tête.
— Non, je n'aime pas la solitude.
— Comme tout bon Chevalier. Quelle est la raison de votre dispute, si ce n'est pas indiscret ?
— Oh... La jalousie. C'est puéril, je sais, et uniquement ma faute. Pour tout avouer, la demoiselle que je courtise n'entend pas mon cœur et n'a d'yeux que pour Phœbus, ce qui a mené à un accrochage relativement violent.
Il toucha sa mâchoire, sentant encore la force du poing de Phœbus – il était même contraint de sucer le sang pour qu'il ne coulât pas.
— Par les dieux, de la part de Phœbus, cela m'étonnerait grandement !
Carloman observa la réaction du prince. Ses yeux s'étaient illuminés dès l'instant où il avait évoqué Phœbus.
— Vous devriez vous réconcilier. Phœbus est un garçon précieux qu'il est bon d'avoir à ses côtés.
— Je suis bien d'accord avec... toi. Excuse-moi de ma présomption mais... (Il se racla la gorge.) Les dires te concernant sont-ils vrais ?
— Plaît-il ?
Carloman déglutit avant de réitérer sa question.
— Que vous êtes plus que des amis ? Des amants ? Phœbus m'a appris que vous...
Le sourire d'Achard s'effaça et une ombre traversa son visage. Il leva le poing et l'abattit sur la gorge de Carloman, sans que ce dernier ne s'y attendît ou n'eût le temps de se protéger. L'écuyer tomba, porta ses mains à sa trachée écrasée par le coup et cracha du sang. Il voulut se relever, suffoquant, mais Achard le frappa du pied en pleine figure, comme le fit son frère jadis. Carloman vit la même expression de folie sur le visage du prince.
— Tu ne devrais être au fait de ce genre de choses, mortel ! Personne ne doit savoir cela ! Comment peux-tu...
— Pardonnez-moi, Prince..., dit Carloman d'une voix étranglée, tentant en vain de reprendre son souffle.
— Non...
Les yeux du prince s'illuminèrent plus puissamment encore.
Celui-ci leva une main face à lui, nimbée d'une aura noire « Démoniaque ». L'Érèbe ! s'écria Carloman dans sa tête.
— Témnô !
Sens-tu alors, Carloman, une incision se former sur ta gorge, lentement. Le sang, remonte dans ta bouche et glisse entre tes lèvres. L'atroce goût cuivré s'immisce. Tu veux hurler, pleurer, crier que l'on vienne te sauver. Tu tends une main devant toi.
Alors, tout te semble léger. Tout est nacré d'un blanc écarlate. Tu oublies la douleur et vois ta petite sœur, ses petites boucles brunes, son visage émerveillé, ses yeux bleus qui te manquent tant. Elle porte sa petite main vers toi, dont tu te saisis, et tu la suis, happé par l'immensité immaculée. Tout, autour de toi, disparaît comme un songe. Tu ne vois rien d'autre que le visage souriant de la belle Aurore, ton amour de toujours, puis celui de Phœbus, ton meilleur ami et frère de cœur.
Enfin, tu te noies dans ton propre sang.
Enfin, tu te sens apaisé.
Enfin, ce fut... le néant.
(suite et fin du chapitre 4 en suivant...)
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Les Trois Gardes, Tome I : Les Prémices du Mal [SOUS CONTRAT D'ÉDITION]
FantasyQuatre-vingts ans de paix se sont écoulés depuis que les Trois Gardes, commandées par le souverain Wulfoald II le Conquérant, vainquirent les troupes de l'Empereur des Démons, Adramalech. Aujourd'hui encore, la crainte de leur retour est plus que ta...