Chapitre 4 (partie I - Humains)

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Ce ne fut que lorsque le soleil se coucha derrière les montagnes et que les premières étoiles apparurent dans le ciel que l'entraînement de Chilpéric et Phœbus prit fin. Ils étaient les derniers encore sur la piste. Aalongue et Carloman les avaient quittés en début d'après-midi, tandis que lady Jehanne et Aurore s'en étaient allé deux heures plus tôt.

Le bras de Phœbus le brûlait sauvagement, n'était désormais plus capable ne serait-ce de porter sa lame, qu'il laissa par ailleurs tomber en reprenant son souffle. Son mentor lui mit une claque dans le dos et le félicita pour la dextérité dont il avait fait preuve afin d'accomplir tous les mouvements imposés avec la plus grande minutie. Phœbus l'en remercia, s'agenouilla et porta tant bien que mal son épée jusque dans l'armurerie, suivi par Chilpéric. Celui-ci prit ensuite le Grimoire toujours couché sur le sol, fermé. Ils montèrent par la suite dans leur appartement privé – que le Chevalier et son écuyer partageaient jusqu'à ce que ce dernier fût adoubé, qu'ils fussent de sexe opposé ou non.

Phœbus tomba littéralement comme une souche dans son lit et Chilpéric proposa de lui masser le corps. L'élève accepta volontiers, se plaça plus confortablement dans la longueur du lit, la tête dans les coussins, et laissa son Chevalier faire son travail. Il manqua s'endormir et se releva au bout de vingt minutes, les muscles tout détendus, mais la douleur toujours persistante. Transpirants et sales, les deux hommes se rendirent dans les Thermes et se lavèrent rapidement. Ils ne parlèrent pas, n'en avaient guère envie, ni n'en ressentaient l'utilité. Ils auraient tout le temps de palabrer plus tard lors du repas dans le Réfectoire, avec les autres frères d'armes. Ils mirent une tunique propre taupe et se parfumèrent légèrement comme l'exigeait la coutume lorsqu'on participait à un dîner en communauté, puis descendirent.

Le Réfectoire consistait en une immense salle parsemée de plusieurs longues tables et bancs en bois, recouverts de drap blanc, sinon dépourvue de quelconque décoration. Sur le côté étaient entreposées d'énièmes tables croulant sous les victuailles et les couverts, que les Chevaliers et les écuyers piochaient d'eux-mêmes sitôt qu'ils le désiraient. Chilpéric et Phœbus se dirigèrent d'un pas décidé vers les sustentations et prirent de tout, mais bien que mourant de faim dans le cadre d'un repas léger et équilibré – on apprenait très tôt aux Chevaliers à ne manger que des choses saines, surtout pour entretenir le mythe du guerrier, protecteur des petites gens.

Carloman et Aalongue étaient assis et mangeaient également. Aurore et Jehanne se tenaient en face d'eux. Tous quatre discutaient en riant, dévorant des cuisses de poulet et des légumes du soir, tout en se désaltérant d'eau et de vin. Chilpéric et Phœbus les rejoignirent. L'écuyer s'assit à côté de son ami, tandis que le Chevalier prenait place à la gauche d'Aurore, face à Phœbus. Celle-ci salua les nouveaux venus promptement et coula un regard adorateur vers Phœbus, qui se sentit mal à l'aise et fit mine de contempler le contenu de son assiette. Mais cela ne manqua pas à Carloman qui sentit la jalousie le pincer. Phœbus tourna la tête vers lui et s'excusa en silence d'un hochement de tête.

— Je vous ai observé toute la journée, sir Chilpéric et écuyer Phœbus, fit Jehanne. Vous formez une équipe d'une complicité bien admirable. Ton pouvoir est grand, jeune écuyer. Il ne fait aucun doute que tu seras un vaillant Chevalier-Mage, si c'est là la voie que tu désires emprunter après ton adoubement.

— Ce n'est que mon souhait le plus cher, et je vous remercie, lady Jehanne, sourit Phœbus. Vous ne manquez guère non plus de grâce et de puissance, tout comme votre apprentie.

La Chevaleresse gratifia son écuyère d'un sourire aimant.

— Aurore est forte, il est vrai, et elle sera très prochainement adoubée, au début de l'année prochaine. Mais il lui reste encore bien des choses à apprendre. Et ne dit-on pas que la vie est un éternel apprentissage ? Je pratique l'art de l'ancien langage depuis des années, et je découvre sans cesse de nouvelles nuances à exploiter, afin que sa force atteigne son paroxysme. Aurore en fera de même, tout comme vous, Phœbus et Carloman !

Les Trois Gardes, Tome I : Les Prémices du Mal [SOUS CONTRAT D'ÉDITION]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant