Solution finale, 20 août 2045

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"20 août 2045

Pour mon 15ème anniversaire, le 15 Août 2045, j'ai reçu pour la toute première fois de ma vie un cadeau. Et ce fut toi, un journal. Un journal intime pour être plus précise. Je suis censée y relater les faits, angoisses et sentiments de ma vie quotidienne selon le médecin qui m'en a fait cadeau. Vie qui n'a rien d'habituel pour tout dire. Laisse-moi donc t'en parler cher journal, et me soulager de mes problèmes auxquels de toutes manières, tu ne pourras rien faire à part les conserver.

Je ne vais pas comme toutes les filles de mon âge manger une glace avec mes amies les week-ends d'été, bronzer sur les plages bondées. Je ne vais pas non plus me promener en ville les jours de soldes. Et je ne connais du collège que la façade de couleur rouille et les vitres brisées. Tout ça n'appartient pas à mon monde. Le plaisir s'est évaporé de nos vies. C'est un concept qui nous est inimaginable, irréalisable. Voilà ma réalité :

Je suis née dans un pays qui dépérissait et s'effondrait comme un château de sable. Aujourd'hui, ça y est, il n'en reste plus que des cendres. Je n'ai jamais vécu autre chose que l'hôpital en ruine, les patients souffrant effondrés dans les couloirs, la maladie, la mort. Ma mère est morte peu de temps après ma naissance et une infirmière nous a recueillies, ma sœur et moi. Du moins, c'est ce qu'on m'a dit. Mais je connais la véritable histoire. Je sais qu'elle nous a abandonnées après la mort de notre père. Je sais qu'elle a fui la maladie comme des milliers d'autres Européens. Cette foutue maladie qui n'aurait jamais dû exister.

Par pure curiosité, j'ai entrepris des recherches sur ce qui est sans nul doute la plus grande fatalité de l'histoire de l'Homme. Quoi de mieux pour s'occuper un Dimanche après-midi pluvieux?

Jamais les scientifiques n'avaient été exposés à une telle énigme. Les plus grands génies du siècle avaient beau composer des millions de formules et de compositions chimiques, rien n'y faisait. Aucun remède n'a été trouvé à ce virus dangereux. Et las de n'aboutir à aucun résultat concluant, l'affaire avait été close, sans savoir que ce petit mal inconnu allait devenir une maladie mortelle d'ordre planétaire.

 Venant du Sud de l'Afrique, elle s'était propagée dans tout le Nord du continent, sans que cela ne choque aucun dirigeant des pays voisins qui niaient la gravité du problème. Malgré toutes les mesures de sécurité prises par les gouvernements, elle avait traversé la mer dans un bateau de réfugiés qui rejoignait l'Europe, et avait touché le sol français le 20 Mai 2025, avant d'engloutir rapidement tout le pays. C'est à ce moment que les pays frontaliers ont commencés à renforcer la garde des aéroports, des ports et des routes en vain. Une semaine plus tard, le terrible bilan était tombé : L'Europe était envahie et des millions de victimes avaient été comptabilisées.

Dès mes huit ans, j'ai dû aller aider les infirmiers et les docteurs qui tentaient tant bien que mal de rendre la douleur supportable aux malheureux condamnés, diagnostiqués contaminés.

Durant des années j'ai attendu mon tour, certaine d'attraper ce virus comme 99,9% de la population. Pourtant, pour une raison que j'ignore, j'ai été touchée par une grâce divine. Je ne trouve pas d'autre explication. Comment autrement, aurais-je pu échapper à cette maladie, qui se transmet par un simple contact et a effacé des millions de vies en quelques mois ? Je suis une miraculée. Une élue, dirait certains pauvres d'esprit.

Je me souviens encore de cette matinée. Avec ma sœur, nous étions convoquées à un dépistage obligatoire fait à nos dix ans. Nous passions quelques tests sanguins, et recevions nos résultats une semaine plus tard. La femme qui s'était occupée de moi n'en avait pas cru ses yeux lorsqu'elle avait relu mon dossier. J'étais immunisée, protégée, intouchable. Et personne ne savait pourquoi. Personne ne le sait aujourd'hui non plus.

Mais j'aurais préféré mourir. Condamnée à survivre, je dois, tous les jours, assister au spectacle macabre et inoubliable qu'est l'hôpital. Ou du moins, ce qu'il en reste. Ce n'est plus que des décombres dans un paysage désertique. Et tous les jours, on compte un nombre déplorable de morts. Certains que je connais, des amis que j'aime, mais que je dois voir mourir parce que le destin avait décidé que je devais vivre.

Parmi ces morts, un soir d'hiver, ma sœur qui n'avait pas eu ma chance, si l'on peut dire ainsi. Je l'ai soutenu jusque à son départ, croyant dur comme fer à sa guérison. Malgré toute mon aide, je n'étais qu'une gamine naïve de dix ans qui croyait encore aux contes de fée. De toute façon, personne n'aurait pu la sauver, comme personne ne le peut aujourd'hui encore. Elle était morte le lendemain de sa contamination. En me serrant la main. Ses doigts si contractés quelques secondes auparavant, s'étaient soudain détendus, et sa main avait lentement glissé de la mienne. Je me souviens m'être enfuie en courant. 

C'était la première fois qu'une personne mourrait devant moi. Une heure plus tard, elle était dans son linceul blanc, assortit au paysage. Prête à être enterrée avec les autres morts de la journée, dans une terre gelée par la neige. Cette fichue neige.

L'Hiver est la pire période. Celle où tous les gens soi-disant « guéris », rechutent, et ne se relèvent pas Celle où les atteints meurent en une journée. Celle où les nouveaux nés ne parviennent même pas à passer leur première nuit ! Et moi, à côté, je les vois défiler, aller de salle d'opérations en salle d'opération, et ne pas en sortir. Lorsqu'un chanceux en ressort, il rejoint mon monde. Celui des immunisé. Mais à quoi bon ? Quel avenir pour nous ?

J'ai appris à ne pas m'attacher à une personne. Je n'aurais pas le temps de la connaitre qu'elle serait déjà partie, rejoindre tous ceux qui, enfin, sont délivrés de cette souffrance inutile. Ainsi que ma sœur, et ma mère peut être. Sûrement a-t-elle péri en mer, comme tous les migrants. J'ai appris en fait à ne pas éprouver de sentiments particuliers devant la mort. Ce n'est pas une vie que j'ai, c'est un calvaire, digne des Enfers. Les malades me haïssent car je vis. Ils m'envient, sont jaloux. Et ça depuis quinze longues années. Tout ça à cause d'un mal sorti de nulle part ! Enfin, peut-être pas...

Certains pensent que ce virus a été créé afin de réguler le nombre d'humains sur la planète. Depuis dix ans, le taux de naissances avait violemment augmenté. En particulier en Afrique, c'est pour cela qu'il aurait été injecté dans ces régions arides. Mais malheureusement, il aurait échappé au contrôle de ses créateurs, et, indomptable, se serait diffusé dans toute l'Afrique et l'Europe. Non, c'est inconcevable pour moi. Qui oserait atteindre à la vie humaine comme si elle n'était rien ? C'est impossible. C'est ce que je m'oblige à croire. Ainsi qu'à un remède possible. A une fin à cette scène apocalyptique qui se répète inlassablement chaque jour. C'est l'espoir qui nous fait vivre. Du moins, nous, les 0,1% qui sommes immunisés contre ce mal."

Solution finaleOù les histoires vivent. Découvrez maintenant