Woods

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Je franchis rageusement le seuil de la porte, tachant d'intérioriser le tout sans y parvenir.
Mon téléphone en main, je compose un numéro.

- Immi !!! Tu vas bien ? Tu me fais peur, tu n'appelles presque jamais.

- Salut Myllie. Tu... Tu gardes confidentiel ce que je vais te dire  ?

Question réthorique, pour avoir son entière attention. Une des seules qualités de la jeune fille, la confidentialité.

- Avec Mickaël je... Ça ne va plus. C'est horrible de dire ça mais... Et...

Je fais une petite pause, laisse échapper un sanglot déformé.

- ... Tu penses être amoureuse de quelqu'un d'autre !

Elle pousse un petit cri strident, se reprend avant de s'excuser, disant qu'elle l'avait deviné depuis un moment déjà. Blablatage sans intérêt.

- Merci de ne pas me juger. Je ne suis plus sûre de rien et il n'y a qu'à toi que j'ose le demander alors...

Je hausse légèrement le ton, souris derrière le combiné.

- J'aimerai que tu me rendes un service.

***
- Bonjour Immin... Tu vas bien ?

Belle tentative de délicatesse, mon copain m'ausculte du regard.
J'ai la bouche pâteuse, le teint pâle et d'horribles cernes noirs sous les yeux. Un fantôme. Ma nuit s'était faite un peu trop agitée, mon insomnie causée par un certain enfoiré qui ne doit même pas en avoir conscience.

La fin justifie les moyens, un début de satisfaction s'invite dans mon ventre.

- Oui ne t'inquiète pas. Laisse moi plutôt t'aider avec ça.

Je lui prends une bonne moitié des papiers qu'il se démène à transporter.
Le couloir bruyant m'arrache un rictus agacé, rictus passé inaperçu du côté de Mickaël trop occupé à se donner bonne conscience en placardant un peu partout ses affiches de soutien aux associations.

- Eh.

Nous nous retournons. Quelle merveilleuse surprise, Jeff.
Je tente de repousser dans un coin de cerveau mes hypothèses de la veille. Mon ventre reste compressé, mes sens en éveil.

Il baisse la voix et murmure, sur le ton de la confidence.

- J'essaie d'échapper à la blonde de la classe B, un vrai pot de colle.

Mickaël éclate d'un rire franc donne une légère accolade à l'épaule non blessée de mon voisin.

-  Bien joué mec, je ne peux pas la supporter non plus.

Mon copain suit le regard vicieux que me renvoie Smile, semble l'interpréter différemment cependant.

- Ne demande pas son avis à Imminence, elle trouve du bien à n'importe qui.

Un léger gloussement, l'hilarité sous son masque.
Il se fige soudain penche sa tête sur le côté, faussement interrogateur.

- Je n'avais pas vu que vous étiez occupés.

Grincement de dents, de ma part, inaudible. Insistance sur le mot "vu".
Il se permet de nous enlever délicatement les affiches des mains, ses yeux s'écarquillent.

- C'est un message subliminal adressé à Imminence ?

- Qu'est-ce que tu... ?

Les neurones de Mickael s'assemblent, comprennent l'allusion. Il vire cramoisi.

L'affiche en cours affiche un slogan du genre "protégez-vous les enfants" accompagné d'un "luttons contre le virus HIB".

- Je, je n'ai pas ce type de...

Il bafouille, et son interlocuteur reste stoïque.

- C'est une chose commune à notre âge, tu sais.

- J-Jeff... Tu ne devrais pas continuer à plaisanter, tu... Enfin, Imminence...

Il évite mon regard.
Je suis bien plus concentrée sur le discours du brun, silencieuse.

- Il est même impensable de ne jamais y avoir songé, cela relève du traumatisme.

Assez honnête - ou joueur - pour me tenir au courant de son début de piste, portant sur une histoire pas très honorable de famille. La mienne, en l'occurrence. J'ignore l'allusion et interviens.

- Ce genre de discussions ne concerne personne en dehors de notre couple.

Sujet clos.

- Au fait, je suis inquiète.

Retour à l'envoyeur, ma main dirigée vers son épaule.

- Comment tu t'es fait ça ?

Soudain, silence de plomb. Son regard devenu glacial.

Conscient du malaise et ayant assez de jugeote pour comprendre que le dialogue ne le concerne plus, Mickael se dirige vers un groupe à proximité.

- Une mauvaise chute.

Je soupire.

- Une mauvaise chute qui t'empêche d'écrire un nouvel article, Woods ?

Touché.
La tension palpable, à son comble. Il ne bouge plus, me fixe étrangement, s'approche.

- Comment ?

- Myllie est une excellente amie, mais aussi ta partenaire de Sciences et vie de la terre.

Ses pupilles se dilatent, ses réflexions s'entrechoquent. Il comprend. Son cerveau, sa présence, tellement plus appréciable que celle de Mickaël.
Automatiquement, il conclut.

- Elle n'avait pas réellement oublié son travail, ni son ordinateur. Mon historique...

- ... Et le nom de tes fichiers t'ont trahis, ta magnifique référence au très populaire "Jeff The Killer", tes dossiers privés. Pas très prudent un mot de passe sans chiffres. Asylum ? Je me pencherai sur la signification.

- Bon courage.

Il soulève doucement son masque, ses lèvres gercés s'étirent. Je flaire le coup bas. Son visage bien trop proche, sa respiration sifflante. Mon rythme cardiaque s'agite, retour d'une adrénaline agréable.

Il pointe un doigt vers son visage, les coupures au coin de ses lèvres dessinant un sourire.

- Tu es bien renseignée. Tu ne me demandes pas pourquoi et comment je suis devenu si beau ? Vas-y.

Sujet sensible, et pas assez d'informations. Mon instinct m'incite à éviter le sujet de ses cicatrices, ma fierté aussi.
Il s'avance, une distance trop moindre entre nous. Il insiste.

- Am I Beautiful ?

Sa phrase respirant le sarcasme, allusion à la légende, mais un sarcasme trop sérieux.
Il ne paraît pas énervé, ni même légèrement agacé. Un double sens peut-être ? Il reste étrangement sur ses gardes, je pose le point final à mon explication, avec la question qui ressort de cette histoire bien que de multiples me viennent à l'esprit.

Pourquoi m'avoir montré ton visage, Smile ?

- Je préfère te demander la raison de ton ignorance sur l'affaire de l'enlèvement, et du meurtrier en général. Tu n'as posté aucun article dessus, à part ces misérables lettres.
Dis moi, qu'est-ce que l'enlèvement de cette gamine a de si particulier ?

Il s'éloigne brutalement, me laisse une nouvelle fois entendre son rire. Démentiel.
Plusieurs élèves se retournent, il les ignore, se tenant les côtes.

Je n'esquisse aucun mouvement, ma fascination à son apogée. Magnifique spécimen.

Il se calme, son regard dangereusement brillant, puis se détourne.

- Passe une bonne fin de journée, Imminence.

La quatrième catégorie [Jeff the killer]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant