Chapitre 12 : Pollution

384 54 12
                                    

Je ressens une terrible sensation d'insécurité : comprendre que la mort d'un inconnu ne demeure qu'un vulgaire moyen de faire régner l'ordre est tout simplement atroce.

Qui est ce mystérieux adolescent ?

Et où se trouve sa famille ?

A-t-il eu peur de s'inscrire ?

Je suis loin de me douter que cette histoire d'adolescent fautif va ébranler ma façon naturelle de vivre. En effet, je deviens très vite sauvage, agressive et violente.

La docile petite Harmony vient de changer définitivement... gare à toi, Maru.

Toute la nuit, j'ai l'image de l'adolescent mort dans le couloir, ancrée dans mon esprit à tout jamais.

Lorsque la lumière du jour se filtre à travers la minuscule fenêtre à barreaux, j'ai à peine dormi. Encore dans ma tenue de la veille, je vais à l'encontre de Jim à la sortie de la chambre.

Lui aussi vient de se réveiller, et se fait une joie que nous puissons déjeuner ensemble.

Je discute formellement, par peur de reparler des événements de hier soir à proximité de caméras de surveillance. Cependant, je sais que nous y pensons tous les deux.

Dans la salle B, le mobilier a été agencé pour le repas.

Je m'assois dans une chaise en bois verni, qu'il me semble avoir déjà vu dans la salle de rencontre. Sur la table la plus proche, un petit déjeuner probablement délicieux s'étale sur toute la longueur de la table.

Malheureusement, je n'ai pas faim.

Jim, quand à lui, se force à avaler quelques toasts à la myrtille :

-Prends-en aussi, Harmony, il te faut quelque chose dans le ventre pour affronter ce qui nous attend.

Il me tend une tartine beurrée. Je la refuse catégoriquement, mais le remercie tout de même sans le regarder. Il n'insiste pas, mais je vois bien qu'il est inquiet pour moi.

Je le rassure :

- Tout va bien pour moi, Jim, okay ? Je sais ce que je fais, alors mieux vaut t'occuper de toi avant cette foutue épreuve.

Mon ton est beaucoup plus froid que ce que j'aurais voulu. Malgré tout, Jim se met à rire.

Pourquoi rit-il, bon sang ?
Hé bien, je dois sûrement être hilarante...

Carmen arrive à ce moment-là, ses cheveux blonds attachés en une queue de cheval surélevée.

- Bonjour.

- Salut, fait Jim sans aucune gêne. Bien dormi ?

Elle le dévisage :

- Sérieusement ? Évidemment que non, espèce de crétin. Le mort de hier soir me tape sur la conscience.

-Moi aussi, avoué-je. Je ne croyais pas Maru capable de tuer quelqu'un aussi facilement que ça.

Jim pose sa tête contre son coude et se tourne vers moi :

-Tu sais, Maru a sans doute déjà tué des centaines d'adolescents comme nous, et ce gars d'hier n'est qu'un nom de plus dans son répertoire de meurtre.

Carmen a un haut de coeur, et son appréhension demeure jusqu'a l'heure fatidique.

En effet, à midi pile, nous attendons comme prévu devant l'ascenseur de verre.

Karl, sceptique, reste un peu en retrait, pour bien montrer qu'il ne veut pas se mêler à nous.

Avant même que je puisse développer cette idée, Maru apparaît, tenant une intrigante boîte en métal, l'air joyeux comme un enfant à qui on vient de dire que le Père-Noël est passé.  Il actionne sans plus attendre un des boutons sur l'ascenseur de verre.

Le mécanisme s'enclenche, et, au même moment, Maru déclare :

- Bien. Dans cette boite électrique se trouvent vos bracelets de position, pour que je sois au courant de vos déplacements dans l'immeuble vingt-quatre heure sur vingt-quatre.

À ces mots, l'ascenseur de verre émet un bip sonore et ouvre ses portes transparentes. Nous montons à l'intérieur, impuissants.

Pendant que nous survolons les étages, Maru nous donne à chacun un bracelet électronique.

Le mien me serre trop mais je ne dis rien. Je ne suis pas suicidaire à ce point.

L'ascenseur s'arrête juste avant que la hauteur atteinte me donne la nausée. Avec un cliquetis sourd accompagné d'un lancement de vapeur, les portes s'ouvrent à nouveau, nous laissant face aux bruits de la ville ainsi qu'aux senteurs diaboliques de la pollution atmosphérique.

Devant nous se dresse une reconstitution d'un immeuble du début des années 2000 : les murs gris sont couverts de tags divers plus horribles les uns que les autres, et le bâtiment s'étire sur environ six étages aux petites fenêtres hermétiques. Je ne distingue qu'une seule porte, droit devant nous.

Nous avançons sur la plateforme qui serpente jusqu'à l'immeuble. Le ciel est nuageux, tout ici n'est que grisaille et dioxyde de carbone. L'atmosphère est irrespirable tellement il est pollué.

Maru nous donne l'ordre d'entrer rapidement dans l'immeuble. Dès que nous avons passé la porte, sans même regarder l'intérieur du bâtiment, j'observe machinalement mon bracelet électronique.

J'appuie dessus sans m'en rendre compte, et une voix féminine déclare :
"il vous reste 23 heures, 59 minutes et 59 secondes, il vous reste 23 heures, 59 minutes et 56 secondes..."

4CyclesOù les histoires vivent. Découvrez maintenant