Chapitre 25 : Répugnance

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Nous restons un moment sans bouger, dans le doute de voir arriver une nouvelle flopée de mutants. Je passe nerveusement ma main dans mes cheveux volumineux et sales, puis essuie les traces de sang étranger qui coagulent sur mon bras.

- C'est monstrueux ! rugit soudain William. "Une solution contre la surpopulation", je t'en foutrais des excuses pareilles pour décimer la moitié de la population ! Et ces putains de juges et leurs idées sadiques et médisantes ! Carmen, innocente Carmen, victime de cette infamie...

- Calme-toi, souffle Jim, les yeux fixés dans le vide. Ils nous entendent.

- Me calmer ?! s'indigne William en relevant la tête, les nerfs à bout.

Il lâche piteusement son arme. Karl la ramasse discrètement, et je me surprends en train de surveiller la raison de son geste.

Décidément, pourquoi fait-il tout cela ? Est-il un espion ?

Je secoue ma tête endolorie par les bruits des armes à feu et me dirige vers le corps inerte de la jeune fille, la partie gauche du visage écrasée contre le sable brûlant. Je n'ai plus de larmes. J'ai connu beaucoup trop d'atrocités en si peu de jours pour me morfondre devant cette énième inhumanité.

William pleure de rage, agenouillé près d'elle. J'hésite à poser ma main sur son épaule, me résigne au dernier moment. Avec mon indifférence émotive, je ne ferais qu'empirer les choses.

Pendant ce temps, Jim fait pivoter un autre cadavre sur le ventre avec le bout du pied :

- Vous avez vu leurs blessures ? On dirait qu'ils ont pourri... C'est vraiment barbare. Les juges du Cycle font revivre des adolescents morts par leur faute en tant que mutants...Décidément, le monde est tombé bien bas.

Karl réprime une fausse tristesse en shootant dans un caillou.

Je suis toujours un peu secouée par ce qui vient de se produire. L'odeur des cadavres s'insinue dans mes poumons avec le goût mélangé de la chair, du sang chaud et de pourriture.

Je vomis contre le sol, tremblant de tous mes membres.

Après cet interminable moment de douleur, nous nous obligons à laisser le corps de Carmen derrière nous et ainsi repartir. L'odeur devient trop forte pour que nous puissons rester passer la nuit ici. Aucun de nous n'a sommeil, de toute façon.

Dans le noir complet, il m'est difficile d'apercevoir les mutants arriver. Je fais tournoyer ma machette dans les airs pour que le manche se décolle de mes mains moites.

Après un kilomètre de marche, Karl propose au petit groupe de s'arrêter. Jim part en éclaireur dans le bâtiment situé à notre droite et y entre en enjambant la vitrine au verre brisé. J'espère que ce premier lieu est sûr pour cette nuit, je n'ai pas envie de chercher plus longtemps.

Soudain, un coup de feu retentit dans les tréfonds de la boutique.

- Jim, tout va bien ? m'inquiété-je.

Aucune réponse.

Paniquée, je me mets à courir pour lui venir en aide, tout en espérant qu'il ne soit pas déjà trop tard. Au même moment, il réapparaît sur le perron de la boutique, les jambes pantelantes :

-Il y en avait un...Un seul, mais plutôt hargneux. Je l'ai tué, vous pouvez venir maintenant. Le seul problème, c'est que le bruit des armes va rameuter tous ses amis dès demain.

- On ne sera déjà plus là, lui assure Karl.

Nous entrons dans la boutique en file indienne, arme la première tout en surveillant nos arrières. Nous nous installons dans un coin sombre de boutique, entre deux rangées vides. Je m'y couche aussitôt et m'adosse contre le sac-à-dos de William.

Karl est tiré au sort pour le premier tour de garde. Je ferai le deuxième.

Je n'arrive pas à dormir. D'abord, j'ai encore le goût de la régurgitation dans la bouche, et mon premier mort sur la conscience. Je sais bien que je ne l'ai pas vraiment tué, puisqu'il l'était déjà depuis ses propres quatre cycles. C'est simplement bizarre de ne plus le voir bouger à cause de moi.

Tous les jours depuis mon inscription, je pense que c'est le dernier que je vis, que je vais mourir bientôt. Pourtant, je n'ai même plus peur.

Mon seul but : survivre.
Encore et encore.

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