Elément déclencheur

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Après un déjeuner avec mes amis, je suis de retour au cabinet. Je n'ai pas beaucoup de patients à recevoir cet après-midi mais ça m'arrange, je préfère me concentrer sérieusement sur les quelques personnes à voir plutôt que de devenir une machine à fric.

Je prends mon cahier de rendez-vous pour sortir les dossiers à compléter aujourd'hui. J'en sors quatre, dont celui d'Emma qui sera ma dernière patiente de la journée. Nous avons convenu de garder le rythme d'un rendez-vous par semaine. Je sais comme certaines affections rendent les TOCS vitaux.

Même si ces comportements sont obsessionnels ils représentent une stabilité, une habitude.

À 15h30 je serre la main de mon patient qui me remercie.

"Au revoir docteur."

Je l'accompagne jusqu'à la porte de sortie et la lui ouvre. Mais alors qu'il sort j'aperçois Emma dehors qui fume une cigarette. Elle est déjà devant mais n'a pas sonné à l'interphone. Je retourne à mon bureau et replace le fauteuil que mon patient avait avancé. Je prends le dossier d'Emma et y ajoute la feuille blanche que j'ai à peine rempli lors de notre dernière séance.

J'ai tellement de questions à lui poser mais je crains d'être trop intrusif. Je ne suis pour elle encore qu'un inconnu. Le fait qu'elle accepte de me revoir est déjà une petite victoire. Je me demande où elle va s'installer aujourd'hui. À tout hasard je dépose une feuille blanche à chaque coin du cabinet. Se montrant si secrète, je dois faire preuve de patience mais surtout, je dois interpréter le moindre signe de sa gêne.

Je dois l'obliger à se dévoiler mais sans l'effrayer. Je dois l'encourager à faire des progrès mais sans la brusquer. Je dois aller aider à avancer sans la pousser trop loin. Je ne connais pas encore ses limites. Elle non plus je crois.

Elle sonne bien avant 16 heures. Je la laisse entrer. Elle s'installe en salle d'attente. J'ai presque envie de la féliciter de ne pas avoir empoisonner son esprit de ces anti psychotiques prescrits par le docteur Brodier. En dehors dans léger sédatif pour l'aider à dormir, je n'aurais personnellement prescrit aucune de ces autres molécules.

Après quelques minutes, juste avant 16 heures, j'ouvre la porte et je fais exprès de rester dans l'espace « bureau » pour la laisser entrer d'elle-même. Elle se lève de sa chaise. la même que la dernière fois d'ailleurs. Elle a toujours son sac à main brandit devant elle comme un bouclier. Mais elle ne bouge pas.

"Bonjour Emma." Je tente.

Elle se décide à avancer, prudemment. Comme sur un champ de mines. Elle ne me serre pas la main et vient s'installer à mon bureau. Je la rejoins après avoir fermé la porte.

« Comment vous sentez-vous ? » 

Phrase que je regrette immédiatement. Elle me regarde, les yeux plissé. Puis, contre toute attente elle éclate de rire. Un son cristallin. Une émotion qui avait du être gardée précieusement pendant des mois, voire des années.

Elle me regarde et elle rit.

"Avez vous décidé si vous continueriez la thérapie avec moi ?

⁃ est-ce que j'ai un autre choix ?"

Je fronce les sourcils et attrape un stylo :

"Que voulez-vous dire ?

⁃ Mes parents acceptent de me laisser tranquille. Je peux vivre à la maison, je n'ai pas à chercher de travail mais seulement si je suis une thérapie.

⁃ Où iriez-vous sinon ?

⁃ Vous le savez."

En effet, j'ai lu dans son dossier qu'elle avait passé trois mois en maison de repos. C'est mieux que l'hôpital au psychiatrique mais ça n'a rien de très reposant. À part un rendez-vous quotidien avec l'équipe médicale et n'existe aucune preuve de la réelle efficacité de ces séjours. Les patients restent entre eux toute la journée et voir la déchéance de certains n'aide pas à se sentir mieux.

Thérapie illégale (sous contrat d'édition M.E.C)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant